jeudi 15 octobre 2015

n'ombre premier




J'essaie sans grande subtilité et encore moins de réussite d'inciter Jade à se familiariser avec les mathématiques . Ne pas se braquer sur l'aridité de ce domaine si abstrait, écouter son étrange musique.
Jade sourit, style -vas y, vends moi ta salade, cause toujours tandis que l'écran de son iPad miroite "game of throne" ou quelqu'autre série. Je me surprends à tant de hardiesse tant je n'avais trop rien tenté avec Venezia, son aînée.
Opter pour la posture "père cool", -pas d'a priori, pas de religion imposée, tu découvres par toi-même, tu grandis au feeling de tes émois, de tes tocades, le plaisir au poste de commande étant finalement pour moi moins une option idéologique qu'un laisser-aller en forme de démission ou d'émission d'un message plus subtil afin d'apprendre à discerner, à ne pas se fixer sur tant d'a-priori.
Nos vies sont faites de réajustements

Être père et pédagogue n'est pas gagné.
Je n'étais pas pédagogue. J'aurais pu l'être tant j'avais en mémoire mes questionnements adolescents, mes révoltes, mes émois. En mon esprit être pédagogue requerrait une image de soi un peu construite là où mes doutes primordiaux demeuraient.
Je m'étais retrouvé père et déjà cela relevait pour moi d'un miracle, d'un impensé. Cela avait été tardif et soudain. On n'est pas père seul, ni mère seule.
Même dans ma grande naïveté et dans mon inculture, ces notions de père et de mère se définissaient par l'existence de l'enfant.
Je suis un enfant sans père ou plutôt sans père connu et un père caché et le sceau d'un impair, avec des femmes nourricières, je suis un enfant sans nom ou cent noms, Jamie, Giovanni, né Tosello, Mahé, Mahé-Tosello.
J'en connais un bout sur la famille, l'intérieur de la famille, les enjeux, les jeux de rôle et de pouvoirs, les noeuds gordiens, les entrelacs, le langage, le double langage, le double bind, le sucré, le salé, l'amertume, la fluctuation de ce pH acide/base.
La grande escroquerie intellectuelle et idéologique de chaque époque est la mise en norme. Le discours idéologique court après le tumulte de la vie tentant avec un temps toujours de retard de la définir pour ne pas dire la juguler.
En cela les discours religieux sont experts.
En fermant les paupières de "mon clan familial", -je veux dire de chaque membre-, j'ai acquis la conviction que je n'avais jamais été un fils.
Enfant reconnaissant, j'avais couru après une reconnaissance qui ne pouvait être entendue.
Dans ce clan, j'étais avant tout une fonction non un je. J'aurai pu avoir une passion pour les maths,  ce fut seulement une appréhension. Ma fonction était d'être -un ciment- pour le clan avant que tout ne craqu'elles.
Je me lézardais. À l'adolescence.
Je refusais l'affiliation. Un re fut. Pas une rupture, faute d'inspiration, une disparition, choisir l'écart, une mise à distance.
L'enfant croie en l'omniscience de l'adulte souvent bien démuni. Du moins il veut croire. Toute croyance renvoie à ce besoin premier de sécurité
Je me croyais victime et c'était plus compliqué. Il y a le mot "famille" et il y a des membres démembrés avec leur inconscient, leur blessure, leur faim, leur monde et souvent chez ces adultes, ce tissu de certitudes qui mutilent et le m dit un amour déshydraté, inutile.
J'ai eu la chance d'appeler "père", un beau père en fin de vie.
De lui dire, -je te choisis- et de l'entendre m'appeler -fils-. Ce choix, ce premier choix à 41 ans m'a ouvert le chemin de la paternité deux ans plus tard. Enfin c'est ce que je veux croire.
L'enfant vous fait père et mère là où il n'y avait que les étreintes, langage approximatif des amours naissantes.
Les géniteurs éclosent aussi. Se métamorphosent dans des devenirs en gestation
Pour la femme cet advenir est palpable. Pour l'homme c'est avant tout une question de mémoire, de retour sur l'enfant qu'il était .
L'enfant adoube l'adulte, les adultes à des devenirs non soupçonnés. Il ouvre cette autre voie de leur relation par sa simple présence. L'exemple édifiant est cette revendication des couples homosexuels à fonder leur amour, à vérifier leur amour par la présence de l'enfant. Cet être Parent comme un être en amour. Louable exigence, louable croyance. C'était ce que je voulais croire. Là où commence une relation se profile l'univers "mathématiques". Ce questionnement qui me travaillait ne travaillait pas l'enfant. En un sens d'en être exonéré était une victoire mutuelle quoique  antithétique. L'enfant cherchait son envol dans un autre espace et cela était heureux. La sphère dont j'étais issue me faisait un vain sysiphe tirant la caillasse. Je poursuivais ma quête dans l'ab-strait et gardais sur ma table de chevet momentanée "les nombres premiers", un long chemin vers l'infini d'Enrique Graciàn. La spéléologie intérieure avait besoin d'éclairage. -i put a spell on me-