lundi 31 mars 2014

9/6/13





La langue-langage fut ma mère. Elle fut le silence, un silence incompréhensible. Dans le paradoxe de l’énoncé se faufile le réel de la mise à l’écart : à la naissance. Je parle d’un temps que j’ignore. 
D’une histoire qui me reste méconnue. Je parle en toute subjectivité. D’une subjectivité bafouée. 
Je naquis dans le flux d’un entre deux langues. L’italienne et la française. 
L’une fut le lait, l’autre le fil. 
On omet de prendre la mesure de ce qui fonde l’histoire de chacun. Le fil narratif que l’entourage tisse et qui trame votre existence. Qui vous habille, qui vous habite. 
Nous sommes le discours narratif fait de la subjectivité des autres qui racontent l’origine de notre monde. Cela pourrait déjà nous alarmer sur la relativité de nos êtres. 
Je crois en la duplicité. Intentionnelle mais pas que. 
Tout récit contient cette duplicité. Dans sa crédulité et les certitudes qu’il assène. 
Un “je t’aime” 
rayonne toujours d’intentions multiples. Saisir le coefficient de spontanéité relève de l’art. 
J’étais un enfant crédule par nécessité. 
Les sonorités italiennes traçaient les impératifs catégoriques du “devoir”. 
La langue française m’offrait l’évasion.





Je n’ai pas de souvenir fondateur avec MJ. Pas de souvenirs d’enfance où j’ai pu l’appeler  “mère”. Je n’ai pas de souvenir où je puisse dire, “elle m’emmenait en bord de mer”, elle me racontait des histoires le soir. Je n’ai pas ces souvenirs qui inscrivent en moi un gout culinaire, littéraire, musical, un dire sur la vie, un enseignement sur les épreuves, un simple moment de plénitude à observer un crépuscule rougeoyant. Je n’ai même pas le souvenir d’une raclée.






9/6/13


suis à son chevet depuis 11 h. Sév est passée, il y a une heure. MJ flotte dans les effets de la morphine. Corps et visage très amaigris. Etats de conscience ténus.
Suis vidé, épuisé et c’est juste le moment où l’énergie m’est nécessaire. J’accompagne la fin de vie de celle qui m’a enfanté
Je ne sais que penser.
Le terme gâchis me vient en premier. Je pense à la folie, à la méchanceté et je suis détaché de tout cela. Un détachement relatif qui peut réfléchir sur le sujet. L’idée rousseauiste que nous naîtrions “bon” et que la société recomposerait chaque être me semble inadaptée. Nous naissons avec un potentiel d’énergie qui va être mis à mal par le réel. Notre esprit chétif, privé du langage et de connaissances est livré à un flot perceptif entre mémoire et oubli. Maelström garanti.
mon être est resté ficelé à une équation qui ne le concernait pas
-mère, c’est notre histoire qui meurt avec toi.
L’ombilic à ma peau comme une ultime trace occulte
rappelle le noeud gordien entre nous/double lien de folie
-mère, quoi de mieux que les mots écrits dans ce silence qui advient.
Mots sans réponse comme de tous temps, ils furent.
Là, en tangence, ils s’écrivent devant ton corps alité,
voyelles et consonnes vers le crépuscule.
Mère, nous allons nos chemins, l’histoire se termine.
Non sono un’Tosello, et plus votre secret. 
J’en ai joué chaque acte et j’écris le dernier.
Vous n’avez pas compris grand chose à l’esprit d’un enfant, 
étaient ce vos tourments?
Plus promptes aux mensonges, à l’esquive, au rejet.
Ta mère était la loi, tu n’étais pas Antigone.
-Mère, nous ne nous reverrons plus, en es tu apaisée?
La solitude qui te terrifiait me constitue.
-Mère, j’ai accompagné chacun de tes maris et ne connaîtrais pas mon père :
le paradoxe éclipse jusqu’à ta déraison.

-Mère, je n’ai pas de haine ni pour eux ni pour toi, quoique pour eux j’avais plutôt de la compassion.

-Mère, j’ai cru longtemps que tu étais servile mais tu étais rusée comme une enfant blessée
Surtout avec moi, tu fus rusée.
Mère, toi qui m’a enfanté crois tu que je sois un fils ou simplement celui qui fera cette dernière toilette, car là où nous allons, le seul mot est : poussière

mardi 11 mars 2014

10/3/14



à surfer l'existence de mes mots, j'avais trouvé dans la formule du blog, l'espace ideal pour mon esprit toujours perdu, un peu butineur, fatigable mais parfois éveillé concentré sur ce moi friable tant l'amer des Sargasses, cette mer dénuée de côtes, bordée de varech me faisait miroiter une matrice originelle si seyante à mon être en lambeaux.
Je vieillis. Mon énergie diminue, mes sens me trahissent et quand l'air à mes poumons se raréfie,  je suis rattrapé par les nuits sans sommeil d'une enfant que je veillais et mon impuissance d'hier à la voir haleter, ventoline à la main, dans cette scansion de mots chapelets : "pourquoi moi, jami, pourquoi moi"- "veux dormir" dormir" une heure un instant".

Le temps est un nappage passé-présent. Nous sommes plus que la mémoire  de nous-mêmes. Nous sommes la bande-son de tant d'errances. Ma focalisation sur mon vécu n'a rien d'étroit, d'égotiste. Il est tout sauf un enfermement, un nombrilisme cultivé. Il pointe même l'antipode. Un a-racinement, un état rhizome. Une a-filiation. suis perdu. Depuis l'origine. Sans comprendre, pouvoir comprendre combien cette perte était une chance. Nous naissons désarmé, a-culturé dans un état d'extrême fragilité et la naissance comme cataclysme nous propulse dans cet espace moins protecteur que la matrice où s'est peaufinée la gestation.
J'écris pour surnager, geste débridée.
 Il faudra accepter de sombrer.
Sombrer est le lot. Nous venons de l'eau et retournons à l'eau.
Nul drama, un constat. Je n'ai sur la vie que des questionnements. Nul savoir, nulle aspiration bien définie. Le bonheur n'a jamais était mon trip, ni la jouissance, ni l'appropriation et l'accumulation d'avoir.
 Mon langage a changé. La scansion est devenue brève. La concaténation des idées : aléatoires. Je garde en moi l'effondrement, la désagrégation.
L'usine recompose un langage, un univers. Comme la mort de l'être aimé recompose l'histoire de ce monde, la prégnance de ce monde, la signification.
Demosthéne lutta contre le bégaiement en mettant des pierres dans sa bouche. Ma bouche encombrée de sable sur la rive désertée. J'ai longtemps eu ce gout de sable qui me confia au silence. L'anomie est cette perte de sens. Etrange royaume.

Ma vie est devenue étrangement légère. Mais les mots ont changé de consistance. Je n'ai pas gagné en sagesse. Ma compréhension des choses de la vie sont devenues tactiles. Mon regard sur autrui n'a pas gagné en acuité. De ce point de vue j'opte pour le flou, laissant à l'autre le poids de son histoire, de ses actes et donc de ses dires.
Les deuils
sont pour chacun de précieux révélateurs. En fermant le caveau familial, le 18 juin 2013, je constatais que le corps de ma mère occupait l'ultime place. Le sentiment que ma place n'était pas parmi eux me dessina un sourire moqueur mais je ne savais trop si ces femmes et leurs hommes m'offraient un ultime clin d'oeil ou si la vie m'invitait à aller voir ailleurs. La mise à l'écart est un état premier réservé à mon être. Constat. Toute une enfance à arpenter ogni domenica ce "campo santo". Nettoyer le marbre, changer l'eau des fleurs putrescentes et tenir la main de la nonna, visage en larmes.
Je m'inquiète souvent du type de folie que je peux "offrir" à mes enfants en forme de transmission.
Un excès de liberté? Et peut être un sentiment irréfléchi que la quête d'un questionnement, d'une remise en cause, de puiser aux sources de la connaissance ne leur sont pas salutaires.
En refermant le marbre, ce jour-là s'est terminée mon histoire. Celle que d'autres avaient écrit pour moi, ce montage menteur où un "groupe" se fonde sur un faux témoignage pour vivre ensemble avec de faux sourires et haines contenues. Il faut dire, crier les folies tapies dans les cellules familiales, toutes ces rancoeurs. Nous demeurons mus par des inconscients aiguisés comme des couteaux et chacun prêt à sauver seulement sa peau. L'état de conscience est à conquérir. Mais c'est rarement compris comme un enjeu majeur.
Ma vie en couple avait explosé sans envol. Une méconnaissance mutuelle. Le quotidien avait laminé et le désir et la confiance. Les enfants avaient joué un rôle de ciment jusqu'au moment où la lézarde avait fendu le silence lourd. J'avais été bizarrement lucide et muet. Pourtant tout semblait si beau.
E la nave va