vendredi 30 novembre 2012

22 /6 -je et un autre-



je n’écris pas après 19h, mes yeux ont besoin de pénombre et de toute manière mon esprit glisse à marée basse. L’angoisse crépusculaire, cette soudaine chappe de plomb qui recouvre le besoin de vivre : un syndrome de vieillard ou plutôt de certains vieillards. J’ai peur de la mort. Je ne parle pas de cette mort clinique mais de la mort de l’esprit, cet état de non activité de la pensée quand affalé sur un canapé (au mieux) pour x bonnes raisons je plonge dans cet état végétatif avec l’écran soporifique en fond lumineux et sonore. Et cet état me guette trop souvent.
Je suis d’un naturel désenchanté, celles, ceux qui me côtoient pourraient dire que je passe mon temps à chanter, fredonner, siffloter et que cela semble une nécéssité. Je ne fais que rassembler mon énergie quand des tâches subalternes requièrent ma présence immédiate. Quand je ne chante pas , je suis dans un ailleurs, je me débats dans des solilogues sans fin sur une vie qui m’échappe. Non pas seulement la mienne, ces états de vie que j’observe autour de moi, ce grand théâtre aux rôles complexes et multiformes dont la superficialité peut être aussi cruelle que la profondeur dérisoire. Je ne suis pas un cynique. Ma misanthropie s’accompagne aussi d’une certaine curiosité dans un effet miroir à ma propre finitude. L’être qui m’aimait me surnommait “Mister Eternity”. J’acceptais ce paradoxe imaginant que le temps viendrait où je comprendrais. Avoir un surnom donnait à mon être plus qu’un sentiment d’existence. Un sentiment de liberté. Cette liberté avait fait bien des détours dans mon existence. Elle avait eu le gout très tôt de l’extranéité, dans cette situation entre deux langues où l’italienne dominante, celle qui dit “la loi”, plonge dans son effacement pour laisser émerger les sonorités de ce que j’appelle “l’embrouille”, “l’ideologie des temps présents”, rumeurs et Histoire.
J’oubliais la langue nourricière pour m’immerger dans l’illusoire. La langue française est par excellence la langue de l’Histoire, du récit historique dans tout ce qu’il a d’ambigü, de parcellaire mais aussi de ce lyrisme nécessaire à faire des champs de batailles d’ultimes scénes de musée. Elle s’accommode de toutes les revisitations.
J’aimais la langue française : pour ma mystification. Dans cet insondable de mon origine, la grammaire française m’a plus structuré que la nonna.
Sujet, verbe, complément tissent le champ d’existence du quidam vers le conformisme.
Le besoin de conformisme quand tout dans mon être me clivait à la marge. “Je” devins français. La richesse de l’être français s’il est bien nourri de cette histoire conquérante de la pensée au de là des frontières, au de là de la “cellule” familiale vers cette primauté de l’individu qui single jusqu’à notre première constitution républicaine aux frontispices des mairies, porte à sourire sur les débats du temps autour du mariage.
J’ai toujours éxécré l’institution du mariage, la cellule familiale tant plongé en happe-né, j’ai goutté à toutes ces simagrées, ce large spectre de l’hypocrisie des rôles et des sentiments, des jeux de pouvoir et de soumission. Stop. Je ne dis pas que je suis exempt de “vilénies”.
Je constate combien cet univers familialiste mutile chaque individu, adulte, enfant. Notre besoin de conformisme est si fort en chacun de nous. Les rebelles radicaux plongent rapidement dans des folies, des espaces sans retour
Devins ingénu mais pas naïf. L’ingénuité colle bien à ma langue. J’eusses aimé être un Cervantés hexagonal, glorifiant la rondeur d’un Sancho Panza plus que les errances du Don Qui...
La dérive semblait être ma patrie. Je croyais que le territoire n’avait qu’une dimension que je nommais NON A, en miroir à Van Vogt. Ne pas Appartenir. Dans cet espace, je vivais depuis le temps de l’origine, m’accommodant du rejet, du sans nom. Ma faculté à aimer était particulière. Je percevais la brillance de l’autre, cette singularité à ce qui me semblait être si obscur en moi. J’appelais cela “aimer”. Il ne m’importait pas d’être aimé. J’étais étanche, pelliculé par tant de discours menteurs. J’approchais tout autre dans cet état curieux à observer quelques éclosions. J’allais à l’essentiel aux êtres qui m’étaient essentiels.










mardi 20 novembre 2012

26/6//64 "fais battre ton tambour"



tandis que la mère regardait la video au débit approximatif, les filles mimaient mi ironiques, mi transportées. Je me demandais quelles images traversaient son esprit, étaient celles d'un amant qui s'éloignait, était ce plus ontologique, un appel du plus profond sur l'essentiel de nos êtres à vivre quoique soit l'épreuve.
Emily nous irradiait. Il y avait  là une subtile vérité dans le chant de cette femme, quelque chose de féminin lié à  la gestation de "la vie", d'un devenir toujours possible.
"Que je n'ai plus peur", le chant scandait le tréfonds "can take my pain away".
La pulsation gagnait nos corps, peaux de tambour.
On ne dira jamais ce que nous devons à l'Afrique dans cette idiosyncrasie existence-chant. Quand devant l'abîme de nos êtres, le recours a capella d'un espoir, d'une ultime tension d'énergie en nous. Qui dira les ressources de nos êtres agenouillés dans une voix qui là tire.
Il est des chants qui en apprennent plus que de longs discours tant ils arraisonnent nos frêles esquifs.
"Mais moi je suis en vie" l'affirmation me percutait me rappelant combien de chaos m'avaient régénér' & poussé un peu plus loin.
Un sentiment de responsabilité, être responsable de sa vie, l'idée n'avait rien de frivole mais restait chétive comme si le fait de vivre m'intimiderait toujours.
N'avais rien d'hédoniste ni de jouisseur mais l'étrangeté de "vivre" m'avait inoculé le besoin d'étreindre l'autre comme pour vérifier ce que vivre était. "Fais battre ton tambour", l'invocation se faisait caressante, il en était ainsi, fais battre ton tambour comme va puiser en toi.
"Je sens les larmes qui montent, mais je ne vais pas pleurer", la ritournelle raclait l'insondable là où dans le magma de la mémoire morte s'est fécondé ce qui nous tient. Pas vraiment un programme, ni même une spore, peut être une odeur, une humeur, une bribe de langage qui nous identifiait avant la signature "je tape sur mon corps je tape je tape encore", combien de fois m'étais je senti perdu, combien de fois avant que le langage me livre quelques issues, non tant des explications mais de ces radicelles qui font les plantes vivaces quand privées de racines elles sont livrées à tous les vents. Contrairement à ce que proclame les bandes à bon dieu, un enfant n'a pas besoin "que d'un père et d'une mère pour s'émanciper" mais d'un Kriss  pour rendre coup pour coup tant chaque être dans sa solitude reste à la merci d'un environnement hostile. Et je remets bien volontiers ce dire comme arme symbolique à mes propres enfants pour qu'ils se prémunissent de mes égarements et de mes blessures à leur encontre. "Je sens monter la colère mais je ne vais pas crier", les dire d'Emily me rattrapaient, foin des prosélytismes de tous poils, penser en première personne avec ce corps-esprit que je squattais.

"fais battre mon tambour, 
fais moi danser, 
qu'il sonne mon tambour 
jusque dans mes pieds, 
je sens la peine qui gronde je vais la chanter". 
Mon amie est  partie 

et partie pour toujours 

, suis pas sur d'être en vie,
je frappe mon tambour,
j'ai étreint d'autres vies qui m'ont parlé d'amour,
n'ai pas vraiment compris
que l'émoi sur moi naquit.
Ai fait bouger mon corps
 sans quête de bonheur,
eus aimé être conquis
mais là c'est du labeur
" J'ai la gorge qui se serre mais je ne vais pas pleurer"
quand la musique est amère faut aussi l'apprécier!









mardi 13 novembre 2012

12 novembre don't forget



the knight
when the day
begins

ne sais trop comment la ritournelle m'a rattrapé après bref séjour cannois .
Est ce cette étrange immersion dans l'automne de la vie et cette distance à observer la petite femme qui est ma mère affronter l'épreuve de la vieillesse avec tous les désagréments qui s'y greffent, l'affaiblissement, les insomnies et les craintes de l'épreuve ultime et lui trouver un courage réel, plus qu'elle n'en démontra jusqu'alors.
Me suis surpris à cheminer côte à côte, l'écoutant sans a priori se rappeler des épisodes peu flatteurs, les regretter, non dans un confiteor de bon aloi mais dans une réflexion presque lucide. Dans la dialectique amour-haine qui nous unit, je glissais vers la synthése quand le repas de 12 h nous ramena autour de la table. autour de la table circulaire nous formions un triangle quasi équilatéral, mon beau père à ma gauche dans champ aveugle, ma mère face à moi où dans cette drôle d'agitation qui la caractérise à ce moment de la journée. Un besoin de s'affairer entre la table du salon et la cuisine, d'être aux petits soins dans cet excès de servilité qui m'exaspère. Dans la "famille", la cuisinière avait le pouvoir. C'était en l'occurrence sa mère. La nonna régnait sur nos estomacs et nos âmes torturant surtout les secondes. Cette dimension du pouvoir ma mère chercha vainement à l'avoir. Il lui fallut d'abord attendre la disparition de sa mère. Mais ce genre de pouvoir ne se transmet pas par simple héritage.
Il y a faire la cuisine et régner.
Marie-Jeanne, c'est son prénom ne sut jamais régner et sa cuisine avait cette pesanteur de l'excès de gras, de cette absence de plaisir qui transparaît dans la fadeur des plats et cette sorte d'obséquiosité à quémander une reconnaissance pour la tâche accomplie. Le besoin d'être aimé peut avoir des détours inattendus. Être essentiel à l'autre en l'occurrence "son homme" semblait une libre interprétation du verbe aimer. Pourquoi pas. Enfant, je crois que j'en étais même jaloux de ce tarif préférentiel. Premier servi, avec la forme et la quantité. J'ai le souvenir d'un de mes premiers éclats devant ce que je considérais comme une injustice, d'avoir osé réclamer autant de "petits suisse" que les trois qui trônaient dans l'assiette dudit père, de manière si intempestive qu'elle me mit son porte monnaie dans la main et me poussa vers la porte pour que j'aille en chercher à l'alimentation au coin de la rue. C'était en juillet 1960 à Besançon, le temps était gris, déjà. Hier, le souvenir en boomerang me revint quand la châtelaine vint servir son chevalier. L'assiette ne payait pas de mine mais trois saucisses de Franfort trônaient alors que mon "écuelle" n'en contenait que deux. Mon sang etc. Je me levais de table, c'était insupportable et me dirigeais vers la cuisine. Mon oeil exorbité criait vengeance cherchant une compensation à ce énième bafouement. Le plat était encore chaud deux trois pommes de terre, cuites à l'eau même pas un oignon une gousse d'ail et les deux dernières saucisses en attente de l'ogre. J'en empoignais une à peine chaude et y plantais mes crocs. Le goût fade me transperça. Comme un éclair sur ces quêtes d'amour. Celle, infinie de ma mère et la mienne plus diffuse, insidieuse, non une gourmandise mais un état de satiété ou encore pire un besoin d'équité. J'engloutissais mon malheur et revenais à table. Mon beau père attaquait son plat de résistance, ma mère pitait dans son plat de lentilles. Je ne savais pas comment regarder ce petit corps frêle qui s'était infligé quelques gouttes de destop un beau jour de mai 1980, comme d'ultimes larmes sur sa quête incomprise. La vue des deux saucisses dans mon assiette me donna un haut le coeur. Je versais un peu d'huile d'olive sur la pomme de terre, c'était l'automne, les idées noires comme un vol de corbeaux planait en ce lieu, j'eus envie de fuir et Catherine vint murmure à mon oreille : "don't forget the night, when the day begins, don't forget the night".













samedi 10 novembre 2012

novembre 1905 quand Barco débarqua



mon ami,

te voilà en ton exil forcé dans les méandres de ma mémoire. C'est là que je te retrouve quand je vais cheminant et que mon esprit alerte à juxtaposer passé/présent te convoque dans ces empreintes rémanentes qui imposent ta présence. Je crois en notre singularité, en notre unicité et cet état est déjà la marque de notre étrange liberté faite de contraintes, de devoirs.
Je ris souvent intérieurement par l'étrangeté de ce qui me fonde, de ces valeurs surgies de ces incertains printemps de l'après 68.
Ma mémoire reste imprécise, j'étais déjà un garçon chaotique en déshérence de sa "famille". Mon corps avait goutté un garçon de son âge, troublé par sa beauté et puis avait glissé dans les bras d'une jeune amazone en rêve d'autres étalons. J'avançais, ingénu à tâtons.
De la vie, ignorant.
Ma myopie me portait vers les livres. C'est probablement ce que tu remarquas, quand tu me croisais, ce bréviaire à la main, intitulé "manifeste du Parti Communiste". J'esquivais une grimace narquoise, visionnant l'enfant de choeur qui officiait à l'église St Charles, jusqu'au jour où entre mes mains je vis la date de1847 complétant le titre.
Le reste fut l'oeuvre de ma curiosité et de ces premières rencontres où tu t'amusais à jouer le bibliothécaire itinérant pour l'alimenter. Notre marxisme réclamait la vie. Une parole vive, chlorhydrique sur le gris entartré de cette époque.
Nous étions abreuvés d'histoires de ce vingtième siècle.
Il était dit que nous ne nous en laisserions pas conter. Nous savions tout des trahisons des mencheviks russes, des sociaux démocrates allemands crucifiant les spartakistes Liebknecht-Luxembourg, nous savions tout de l'histoire du mouvement ouvrier de ce pays, nous connaissions le sens du mot stalinisme et le ridicule de la SFIO, jamais ils ne nous vint à l'idée de réciter un texte d'Aragon ou de voter Mitterand.
Nos connaissances nous rendaient assurés et le contrepoids de toutes nos fragilités laissait le fléau de la balance dans le beau fixe. Nous savions que nous étions faillibles, nous savions la disproportion entre l'objectif d'une société sans classe, sans maître et l'état groupusculaire de cette fraction d'une jeunesse dont nous étions membres.
Nous étions de notre temps, nous ne tournions pas seulement les pages de vieux livres, d'anciennes philosophies. Nous étions là où il fallait être quand les B52 américains balançaient 250000 tonnes de bombes sur le pont Paul Doumer, Long Bien de HanoÏ.

Robert S Mac Namara, secrétaire de la défense à cette époque disait "Ce n'est pas un très joli spectacle que de voir la première des superpuissances mondiales tuer ou blesser chaque semaine des milliers de non combattants en s'efforçant de contraindre une petite nation arriérée à accepter une solution dont les mérites restent fortement contestés" (lire du Mensonge à la violence d'Hannah Arendt).

Ceux ne sont pas tant les livres qui nous donnèrent vie, ce potentiel vital à s'opposer, à ne pas accepter ce que le qualunquisme voulait imposer dans cette France bonapartiste. C'est bien la musique.
Nous nâquirent aux vibrations qui portaient les dits de la vie, du plaisir, de l'humain. La musique nous identifia. Nous n'avons jamais été d'un pays. Nous étions de cette vibration, née de la musique noire dans ce retour à l'origine puisque l'Afrique marque l'origine des peuples de cette planète.
Je n'étais sensible qu'à Dylan, tu me menas vers d'autres rives. C'est probablement cette dérive et nos échanges si fluides qui te rendirent nécessaire à mon être.
Incontournable.
Je pense souvent à ces temps fondateurs et nos trajectoires inattendues. Qui aurait imaginé que je m'établisse en usine et cette drôle d'idée de l'imminence des changements. Qui aurait imaginé cette concomitance des revers des luttes de ce temps et d'un deuil prévisible. Et pourtant tout était prévisible. Je t'écris, il ne me reste que ce possible, un flux de mots qui te cherche, non préoccupé de véracité, cherchant dans la pulsation une raison d'être, une résonnance. Nous écoutions "turning point" de john Mayall avant de passer à l'action.

So hard to share : nevermind!







lundi 5 novembre 2012

2 Mai-22 juin "we will stand tall"






Quand Jade émet le souhait de passer du temps avec moi, je suis soudain traversé d'une émotion mélée à un ravissement. Cet enfant m'offre toujours cette surprise d'être aimé. D'être aimé pour ce que je suis. Etre aimé de son enfant ne devrait pas sembler de l'ordre de l'extraordinaire, évidemment.
Pour moi, oui tant ma peau garde un hermétisme bien tressé à ce sentiment. Très tôt cette enfant l'a lézardé, j'allais dire  dans ce temps de l'innocence, mais il n'y a aucune innocence dans nos perceptions de l'autre, il y a au contraire une perception à vif, non tamisé par le langage.
Ressentir ce plaisir d'être ensemble m'aide à penser.
Je l'observe grandir un peu à distance, je l'observe chercher sa voie, ses voies, son style.
Elle n'est pas si craintive que ses premiers pas suggéraient. Je me dis même que ses craintes étaient nos craintes de parents à voir leur bébé de quelques jours en observation dans un service de néo-nat.
Un virus inscrit ses traces dans nos esprits de parents impuissants.
J'ai une culture fataliste, la mère de cette enfant, une expérience encore plus profonde et cette volonté de ne pas s'y résoudre. On peut aimer une femme pour son aptitude à être mére. À juguler ses craintes dans un agir immédiat pour prendre soin,  pour domestiquer une situation hors de portée, sans trop paniquer, sans trop défaillir dans une intelligence immédiate à comprendre les paramétres qui ne sont pas de son ressort et ceux qui seront aussi décisifs que des contrefeux.
A posteriori, dans ce recul de plus de douze années, je revois ces moments des premiers jours  jusqu'à ce jour comme la lente victoire contre le "virus".
Non pas seulement de l'enfant mais des parents-mêmes.
Jade s'émancipe de nos appréhensions, de nos démêlées avec cette peur-ėclair de perdre un enfant.
Elle butine l'existence,  prend des uns et des autres ce qu'elle trouve de meilleur. Elle a des amies de sa prime enfance et des êtres-références qui l'aident en toute ignorance à aguerrir son corps, son esprit dans la complexité que nous appelons la vie.
Il me plaît d'aller au restaurant avec elle, de discuter à "bâtons rompus" de tout et de rien, sitôt son préalable cocasse "je n'ai pas de sujets de conversation" levé.
Je ne m'ennuie jamais et la gravité des choses de la vie ont aussi là, cette légereté qui tient à les dire sans les auréoler d'a priori lénifiants.
Je ne suis pas adepte de la confidence avec un enfant. J'ai trop en mémoire les effets pernicieux quand  l'adulte s'effondre. Car à ce moment-là il s'agit plus d'effondrement que d'un échange.
Dans cette prime adolescence, un enfant est profondément philosophe. Se questionne sur les choses cardinales de l'existence avec curiosité et une voracité qui mérite d'être affinée, stimulée, écoutée.
Jade m'aide à penser, à être père, c'est à dire à mettre en perspective ma façon d'être père, à trouver la bonne distance pour l'exercice de sa liberté.
Je suis un être primaire, primitif. Mon esprit reste empreint d'une pensée primesautière, mes doigts cherchent toujours la prise pour vérifier du courant, les effets.
Fus caporal aboyeur plus souvent que père, c'est dire. On peut être cool, révolté et caporal aboyeur,  : assez idiot. L'ignorer serait naïf, je ne suis qu'ingénu.

Sommes allés voir soap-opera et film science fiction, une double dose pour nourrir nos inconscients. Jade me récitait son gimmick "cela donne à réfléchir", le poussant dans une théâtralité qui attestait de sa conscience du cliché. Le rire nous secouait, communicatif. J'aime la subtilité de son être déjà aguerri à l'ironie, à la distance, à l'observation des détours du langage.
"Skyfall" se laisse digérer, mais la musique et la voix transportent, les images impriment l'esprit d'improbables chorégraphies, Bond fait ses bonds comme un kangouro dans son éniéme course. Le visage de Craig n'effacera pas Sean, la théâtralité ne gagne pas de l'accroissement de la vitesse. "Même pas peur" confirme la main de Jade à la mienne.
"The looper" est plus étrange, la narration non linéaire, le bon aussi méchant, le tueur court après lui même.
Sa main me serre, le pop corn pour le sucré et la menace dans un champ de maïs, le cocasse isn'it.
Je lui avoue combien cette drôle d'allégorie me connecte à ma propre histoire. Je ne dis pas tout.
Ne se sont faufilées que d'anciennes rémanences : se trouver en face de son géniteur, le visage "che guevara" pour voir la gueule du coiffeur qui lèvera le masque et puis ce choc de la ressemblance et l'effroi in vivo de son devenir et la fuite pour issue.
En ce temps les livres de PH K Dick s'empilait sur ma table de chevet, "substance mort" toujours à portée de la main, cette étrange histoire de l'espion de soi-même dans une AmeriKKKe sans illusion. Toujours eu une grande affection pour cet auteur. Jamais autant en moi,  des écrits ont déplacé ma pensée. Jamais autant le réel de ce monde m'est apparu palpable dans les télétransportations dickiennes. Jamais nos aliénations m'ont été autant familières.
Comment dire à un enfant combien la lecture a plus de magie qu'un écran plat, combien nos propres intelligences, nos propres perceptions s'approprient d'un récit et l'entraînent dans le tréfonds de nos quêtes, là où la dictature de l'image ne vous glissera pas.
J'avais donné à cet enfant un prénom secret qu'elle n'aimait pas. Le nom d'un lieu, au loin dans le passé, là où le livre narre le vain orgueil des hommes face au ciel. Un point où les hommes devenus cultivateurs bâtirent la ville. Un point en Mésopotamie. Avoir un nom de ville comme prénom, comme une invitation à décoller de soi-même, à se relier aux autres, à percevoir qu'il n'y a pas d'existence hors de la relation. Auréoler son enfant d'un marqueur trop signifiant peut être contre productif, Jade programma le titre d'Adèle.
Il était question de ciel et de chutes. Il ne me vint pas à l'idée de sourire. Jade baissa le son et ajouta "Papa, j'aimerai faire mes études aux Etats Unis". Elle dût discerner le mouvement d'une ride à mon visage et précisa "ou en Angleterre, tu sais, j'aime vraiment l'anglais"
-we will stand tall and face it all- égrenait la chanteuse d'outre atlantique. Le temps de la dispersion s'énonçait comme un désir. L'enfant avait bien grandi.