mardi 25 octobre 2011

23 OCTOBRE 2011/Paolo Conte - Eden




c’était un de ces dimanches qui me ramenait dans “les couloirs de la souffrance” avec cette inquiètude sur ce que j’allais trouver. Le dilemne qui n’hésite pas à se faufiler dans mon sommeil comme une équation insoluble trouve toujours moyen de me réveiller au milieu de la nuit vers 2 h 30. Dans ce moment de déplaisir profond, la possibilité de se rendormir pendant encore trois heures devient un ravissement quasi jouissif, je retrouvais donc le sommeil oubliant la perspective de ces courses éperdues d’une sonnette à l’autre, d’une exigence rationnelle évidente à des délires bizarres, des désorientations sans fin.
Le hic de ce type de nuit se déguste au réveil. L’esprit enregistre la sonnerie et en boomerang l’interruption impromptue qui libére alors plus que des toxines mais une lassitude de cet inexorable.
Je m’habillais sans entrain sans envie d’écouter un morceau de musique énergisante, de feuilleter qqs pages d’anaïs nin (mon livre de chevet du moment) pour ce plaisir si fugitif d’être vivant à soi même.
J’arrivais à la bourre devant l’ascenseur et de voir une collégue imprévue ce we me fit un instant douter du jour, de mon emploi du temps, de la finale de l’eden park!
S...... souriait m’invitant à me dépécher. Travailler avec des êtres que vous appréciez pour leurs compétences, leur simple joie de vivre, leur faconde à résoudre les quadratures de ces journées galéres avec leur humour, leur savoir-faire de tous les instants qui trouve le bon tempo pour calmer l’emballement de tous ces désarrois derrière cette vingtaine de portes qui nous attendent chaque jour, me convainc toujours plus que nos managers ne craignent en fait que notre plaisir d’être ensemble, efficaces et solidaires dans une coopération constructive.
La gestion par le stress ne vise que cela : monter les uns contre les autres, créer des bouc émissaires. L’enjeu n’est jamais la pertinence, l’efficacité, l’excellence d’un travail mais cette prédominance à protéger des prérogatives dont les finalités s’appellent pouvoir et profit.
Nous n’avons pas attendu le temps des transmissions pour commencer les toilettes des patients à J 1.2 ou 3 . En orthopédie le jour post op, l’âge du patient, la liste des antécédents chirurgicaux, le type d’anesthésie réalisée vous en apprennent suffisamment pour savoir comment procéder quand vous ouvrez la porte. Pour l’aide soignant(e) la liste de sa charge de travail se comptabilise rapidement et quand S...... vous invite à ne pas suivre les transmissions c’est qu’il y a plus de quinze toilettes au lit qui vous attendent avec des patients en souffrance, inquiets, parfois perdus, retranchés dans citadelle sans pont levis (quitte à faire ds la métaphore).
Nous avons commencé avec la signorina de la 67. Entrer dans une chambre reste tjs pour moi un geste violent . Bien sûr cette affirmation ne reléve que de ma seule subjectivité, de cette hypothése à se dire qu’à 7 h du matin on peut désirer dormir, prolonger un repos entre douleurs, insomnie, inquiètudes tout ce stress des corps vieillissants qui mascère dans le silence de ces visages qui s’emmurent pudiquement. J’avais la conviction en croisant des congénéres d’outre alpes que la langue, sa musicalité nous rapprochaient immanquablement. J’avais ce rappel intérieur des leçons della mia nonna maddalena qui pour m’enseigner “la loi et ses menus devoirs” glissait du français à l’italien : “prima il dovere poï il divertimento”.
La signora della spezzia le savait aussi. Travailler avec S...... reste un ballet intuitif, on libére l’espace étroit de la chambre, elle parle, je reste en retrait. L’habitude que le soin soit fait par des femmes m’invite à cet effacement. Solange dirige, je fais la ponctuation. Souvent nous glissons dans une complicité un peu délirante où le soin passe dans un jeu théatral et le soin devient soluble dans le rire et la dérision voire le bel canto. On n’imagine pas combien parfois la dureté du moment s’adoucit dans un rire partagé. Parfois la situation ne s’y prête pas. Nous avons laissé la patiente devant l’émission religieuse qu’elle souhaitait suivre et dans la chambre voisine d’autres étaient déjà à l’Eden Park.

dimanche 18 septembre 2011

26 aout 1880 / Antony and The Johnsons - Crazy In Love




près du marché saleya à nice côté opéra, une pierre gravée signe la présence en ce lieu de frédéric Nietzsche. le lieu a résisté aux années si bien que l’idée de voir surgir l’homme m’a souvent amusé en passant aux parages. J’aime ces clins d’oeil de l’histoire rendant perceptible la tranche d’un passé portée par un autre.
Hier dans une incursion à cultura pour commander des livres pour anna venezia ma main a saisi un livre de correspondances , “lettres à lou” de guillaume apollinaire et l’ouvrant négligement ai entrevu “nimes le 20 octobre 1914”. Cela m’a suffit pour l’acheter. Je suis dans cette “douce folie” de trouver un sens entre des mots et mon esprit aride.
La correspondance d’apollinaire parsemée de poèmes est une invitation à percevoir le travail de l’amour dans le corps, cette magie de nuits éveillés à chercher l’autre entrevu, rêvé, sans cesse espéré et l’écriture toujours vaine à combler son absence quand étreindre devient le verbe transitif de chacune de vos molécules.
L’amour, le désamour, le manque et le besoin, là entre mes mains. Je n’en ai rien dit à Jade toute à sa recherche des bons pinceaux pour son cours d’arts plastiques. Jade a ce rejet enfantin des livres mais aussi le goût de la récitation. Très tôt nous avons convenu que “réciter” réclamait une estrade. Ce fut donc la table massive de la cuisine où je la hissais. Père spectateur, j’écoutais. La voix devait porter, le visage et le corps exprimer. Une enfant apprend vite quand elle sent devoir convoquer toutes ses forces .
Rapidement elle excella, avec cette capacité de faire vivre la narration.
Je n’avais pas encore réussi à lui faire comprendre combien les livres recélent plus que de l’expérience, combien ils deviennent des confidents par ce qu’ils vous offrent de leurs secrets de page en page comme murmurés. J’étais un père naïf et j’avais face à moi la puissance de tf1 et des chaînes de la tnt. Secret story resterait plus captivant que “lettres à lou”. J’avais opté pour le non directif, marquant l’interdit pour la dilution devant cette émission vulgaire et insipide dans cet appartement et sachant qu’elle se précipiterait devant l’écran dès qu’elle serait chez sa mère. nous ne controlons rien ou si peu, de la vie , de nos vies. Ce que nous transmettons et ce que l’autre choisira, greffera, assimilera, détournera. J’ai lu dans la nuit par saccades m’endormant me réveillant, je pensais à ces correspondances qui jalonnaient mon existence, cette fébrilité à écrire à être auprès de l’autre, à tenter d’incarner, de dessiner sa prèsence au bout des doigts.
Sans souci de la performance, de l’efficience et de l’efficacité ; avec même ce sentiment laminant de l’inutilité mais poussé par cette nécessité intérieure et vitale de témoigner de ces instants d’une transcendance puisée à l’existence de l’autre qui vous tient éveillé et vivant, blessé et vivant , désespéré et vivant et cela peut se nommer “de l’amour”, de la folie (ou plutôt de l’a normalité si le mot normal convient à un état “dépassionné”). A lire le grand poète, à parcourir sa biographie, je sais que l’amour ne fut pas une constante ou du moins être aimé comme il l’eut souhaité ne fut point au rendez-vous.
Si le talent n’est pas une garantie d’attractivité, mon être imparfait n’en trouvait pas pour autant de soulagement. Que cherchais je vraiment? Longtemps je crus à quelque chose qui s’apparente à la reconnaissance puis après ma trahison je cherchais en l’amour une sorte de rédemption, la naissance de l’enfant me fit croire enfin à l’épiphanie las ce ne fut que le purgatoire. Comme un ressac, le vague à l’âme, corps dans le roulis et l’esprit dans ce vertige de l’inconfortable aspiration. Apollinaire dans ce long écrit entre nimes et nice des lieux si familiers et des séismes aussi. Rue de la biche/cours saleya, je feuillette porté par ces écrits enflammés et pondérés du quotidien du soldat apollinaire, nous sommes en 1915, blessé à la tête, un an plus tard, il ne survivra pas à cette guerre et son amour pour Lou ira s’effilochant, reste la volumineuse correspondance et des poèmes.
“L ‘amour est libre, il n’est jamais soumis au sort
O lou, le mien est plus fort encore que la mort
U n coeur, le mien te suit dans ton voyage au Nord
L ettres! Envoie aussi des lettres, ma chérie
On aime en recevoir dans notre artillerie
Une par jour au moins, une au moins, je t’en prie
Lentement la nuit noire est tombée à présent
On va rentrer après avoir acquis du zan
Une, deux, trois... A toi, ma vie! A toi mon sang!
La nuit mon coeur la nuit est très douce et très blonde
O Lou, le ciel est pur aujourd’hui comme une onde
Un coeur, le mien, te suit au bout du monde
L’heure est venue. Adieu! l’heure de ton départ
On va rentrer. Il est neuf heure moins le quart
Une...deux...trois Adieu de Nîmes dans le Gard
4 février 1915”
Sur cette pierre qui marque le passage de frédéric nietzsche est mentionnée (il me semble) sa rencontre avec Lou! Une autre Lou.
Lou Andrea Salomé, une rencontre de trois êtres (Lou, Paul Reé et Nietzsche) , un autre amour impossible, qui plongea le philosophe dans ses abysses

lundi 8 août 2011

8/8/2011 requiem for a dream portishead



la “dame de la FPA” qui me guida ds ma reconversion professionnelle m’avait bien mis en garde : “c’est un travail épuisant, vous ne savez pas pas ce qui vous attend”. J’avais fait le con sur des viaducs, passé des matinés à câbler des armoires électriques dans des tunnels, j’avais senti pendant des années, cette odeur de poisson frelaté que vous collent des presses à mouler des plastiques de certaines industries, j’avais même été enfermé des journées entiéres avec des journalistes fumant, fautes d’extases pour taper leurs quotas d’articles pour des supports attrape-pub qui finissaient dans des poubelles, alors faire quelques toilettes, des lits au carré mon corps même cinquantenaire me semblait sinon prêt, du moins rôdé.
Je me trompais.
Je me trompais par ignorance de cette fatigue qui se fait prégnante non par ces seuls effets musculaires à s’occuper de corps en souffrance mais qui s’insinue dans tous les pores de votre mental quand s’insinuent la plainte répétitive, cette litanie étrange de l’inquiétude, des corps assaillis par les déprimes, les angoisses, l’effritement de la mémoire , du langage, ces priéres muettes que disent les regards, ces mutismes comme ponctuation d’une douleur sans nom. L’aide -soignant se coltine une posture particuliére. Il est au plus près, écoute, observe, encourage, il facilite l’activité du patient, cette remise en route des fonctions du corps, de cette image nouvelle de lui-même qu’a un patient opéré surtout en orthopédie et dans tous ces états rester le plus neutre possible présent mais comme “transparent”. Il y a des états de malêtre chez certaines personnes qui vous épuisent, vous absorbent une énergie vitale comme une pompe à vide.
J’ai toujours en tête ce film de bergman “l’oeuf du serpent”, une séquence particulière du film où une nurse tente d’endormir un nouveau -né qui pleure, qui pleure des heures durant et la nurse s’énerve, perd pied, tourne dans la pièce murmurant , chuchotant, priant le bébé de dormir de dormir un instant, ignorant que derrière un miroir ss teint un medecin nazi filme la scéne car ’il a placé une aiguille dans les couches qui blesse l’enfant et il attend le dénouement, le moment fou où la nurse étouffe le bébé.
La fatigue reste cet état de vide intérieur qui réclame de la pensée et souvent l’énergie manque ou en rémanence ne vous offre que des états de rêveries, de pensées imprécises.

samedi 2 juillet 2011

22/07/2011/ Nick Cave - Into My Arms



j’écris, je cherche, je tamise ce qui du flux de l’existence, de ce temps en relation à autrui fait sens, brille de cet état éphémére mais scintillant et chaud qui tisse de la vie, l’intérêt.
Je suis né avec un virus de l’ingénuité, ce virus étrange qui a développé en moi nulle méfiance envers autrui, accueillant toute rencontre comme un signe d’un destin qui dessinait ainsi sa trame.
Certains marqués par une blessure ontologique développent un sens critique, soupésent, calculent, d’autres puisent dans la blessure le ressort pour se dresser et combattre.
Ma survie, je l’ai du à ma crédulité qui me fit réciter plus de pater noster qu’à d’autres, puisant dans la mélodie cette force naÏve qui m’évita à m’attacher au sens.
Le naîf a un glossaire à sa mesure. Une poétique de l’évitement du réel non de l’évasion.
Je fus un marxiste conséquent allant au choeur du sujet m’établir comme on approche la main du feu pour sentir la brûlure et pourtant, je ne la sentis pas, je ne fis pas de révolution, me contentant de bousculer les mesquineries ambiantes qui n’étaient d’ailleurs pas toujours du fait d’un patron.
Tout comme je n’écrivais pas pour un devenir écrivain mais dans le seul but de cette locomotion qui me menait un jour plus loin. Je suis resté très marqué par une remarque d’une cadre infirmière dont je ne pris pas immédiatement la mesure, absorbé par ce choc qu’ inscrivait dans ma mémoire le souvenir d’un être dont la beauté avait irradié ceux-celles qui la côtoyérent et qui se prénommait isabelle.
Et l’improbable sosie dans un tête à tête mémorable m’avait glissé commentant mon mémoire jugé hors sujet : “vous ne serez jamais un soignant!”. L’assertion me gifla mais cet étrange sentiment que la dame ne voulait que mon bien m’orienta moins dans une quête de ce qui était pour elle une pratique de soignant que dans l’approfondissement de ce qui ne faisait pas de moi un soignant.
Comme l’enfant que je fus, je regarde les êtres devant moi avec l’ingénuité de mon ignorance cultivée. Je n’interprête pas la parole d’autrui, je la prends d’emblée pour “agent contant plus qu’argent comptant”.
Je n’ai pas d’appréhension de la possibilité d’être mystifié pour l’avoir été dès la naissance. Ce qui m’intérresse est de suivre le propos assénné dans tous ses méandres et de voir les effets sur “l’arroseur arrosé”.
A ce jeu le normal (celui qui se croit) m’inquiète plus que le fou même si la blessure du fou peut me tétaniser quand elle épouse la mienne (de folie et de blessure). Le normal a cette propension à la certitude qui devient rapidement inquisitrice. Le fou m’entraîne dans un partage aux limites du vertige. Parfois il m’arrive d’être présent à des êtres confrontés à des états complexes où le langage s’effrite, le sens des mots s’embrume et à chaque instant leur regard témoigne de ce combat inégal et scellé qui avoue la défaite et tente dans chaque nouvelle locution à retrouver ce qui fut la liberté, le pouvoir d’un dire, cette épiphanie du mot épousant son réel.
Je me souviens de ma dernière nuit auprès de michel quand l’aphasie avait entamé toute sa lucidité sur ce monde et que les mots s’échappaient de sa bouche comme un flux chaotique et que la machoire de l’ironie et celle de la désespérance le repoussaient dans le silence, ne laissant à nos mains entremêlées que l’ultime syntaxe de notre amitié et je balbutiais dans mon for intérieur “ainsi soit il, ainsi soit il”!
Nous sommes entrés dans la chambre ce matin avec laeti. Madame 61 semblait nous attendre bien éveillée à l’inverse des autres jours sous les effets post anesthésie. Elle souriait, nous disant même son plaisir à nous voir. Nous lui avouâmes le notre tout en commençant la toilette.
J’étais plus étonné encore que la veille par la fluidité de sa parole, de sa narration. elle nous parla d’un voisin Alex qui venait la voir de temps à autre, puis me regardant elle me baptisa Alex aussi. Je ne la dissuadais pas, l’encourageais même, Laeti regardait la scéne quelque peu amusée. Dans mon esprit gagnait la certitude que dans ces relations multiformes au plus près des êtres, nous étions aussi des fonctions langagiéres connectant les esprits défaillants par notre simple présence. Hic et Nunc comme disait l’autre. Prénommer est aussi une caresse, une offrande de vie, j’en acceptais l’augure : call me alex!

lundi 30 mai 2011

22/6 @26/6: Jean-Louis Aubert - Puisses-tu



j’étais pour les rituels d’autant que je me sentais iconoclaste par essence.
M’étais prêté à ce jour de la fête des mères, non pour fêter la mienne mais celle de mes enfants. Non sans une certaine animosité, convaincu que la belle faisait partie de ces femmes qui peuvent concevoir la maternité de leur seul point de vue. L’associé ponctuel jouant dans une catégorie imprécise entre prête nom, accompagnateur, factotum-homme, éventuellement père, salaire complémentaire...
Vous allez penser que je suis amer! La réponse est oui.
Ceci dit ma participation à l’impasse comme dirait Paul_Watzlawick devait être majeure. Elle l’avait été dans cette crédulité à laisser les choses aller a volo sans vraiment tenter de les influencer, sa fuite dans le travail à outrance (pas moi), dans cette primauté donnée aux enfants, poussée jusqu’à la mise entre parenthèse de toute vie de couple qui vous laisse comme deux étrangers face à face.
”Cela devait me convenir” m’avait elle dit puisque j’étais resté plus de quatorze années” mais mon esprit gardait là dessus quelques doutes. On peut rester à côté de l’autre même immergé dans cette certitude qu’il ne vous voit plus, qu’il ne vous désire pas, par cette attraction orbitale de ce qui fut une rencontre-terremoto. On peut rester à côté de l’autre par ce qu’il (elle) vous a prouvé, se tenant face à vous dans épreuve inaugurale, que cette rencontre resterait incomparable à toute autre rencontre, par ce qu’avoir partagé le temps d’une naissance, vous aura définitivement annexé à une histoire si singuliére.
Et je mesure ces paroles tant je sais combien nous sommes aux antipodes l’un de l’autre, combien cette femme ne partage pas mes valeurs, combien je peux être un repoussoir dans ma façon de rejeter les régles consuméristes et de bienséances de ce théâtre d’hypocrisie où elle se meut avec aisance.

Attablés en cette fin de soirée, j’écoutais les comptes-rendus d’une fin de semaine agités par les mésaventures des filles, à ces moments les remarques anodines deviennent souvent blessantes et chacune glisse dans un crescendo, faute d’y parer. Jade avait esquivé en pointant ironiquement les rencontres amoureuses de la mère qui ne faisaient que son désespoir. “Il est beau, il est jeune, il a de l’humour disait -elle mais”.
Plus que l’énoncé, j’entendais ce qui ne serait plus entre nous ou même n’avait jamais été.
Je me demandais : “mais qu’est ce qui suscite une rencontre”, qu’est ce qui rend un être aimable”, qu’est ce qui soudain le différencie à notre regard du reste des gens au point de néantiser tous les autres, au point de réclamer sa présence, sa seule présence, dans une démesure irrationnelle qui nous ravit et affadit tout le reste.

Je pensais à cette folie qui m’avait gagné plus d’une dizaine d’années plutôt en ayant entendu de sa bouche une locution qui ne s’adressait même pas à moi, disant “je me sens devenir une femme”, qui m’avait tenu éveillé toute une nuit à lui écrire, m’avait fait saisir les pages jaunes pour la retrouver, téléphonant à tous les magasins de matériel paramédical afin d’ avoir au moins un rendez-vous, la possibilité d’un rendez-vous, comme si ma vie en dépendait et ma vie en dépendait tant j’avais cette folle certitude d’un graal à ses lévres.

And the winner is!
Bien sur en amour les acquis ont la fragilité du temps. Ai voulu croire en des pactes de mots et de chairs. Ai souvent trahi, ai été trahi aussi mais les blessures ne sont rien au regard des joyaux offerts dans cette temporalité de l’éphémére. Dans cette temporalité de nos vies.

jeudi 28 avril 2011

29 avril 1995/0 h 25 /Jeanne Moreau sings India Song



"son nom de Venise dans Calcutta désert"


ô mon enfant, que ta vie est précieuse
que sa trépidation pulse mon être
d’émois non envisagés

Le seul trésor qui vaille
est fait de chair et d’esprit
il brille aussi solaire que fut la rencontre
et croît en moi comme une nova
me révélant sa brillance et son ardeur.

Ce peut être un ami(e), un amour, un enfant.
Cet autre qui scelle un tu et un je

et qui permet à mon esprit de penser ce monde vivable.
par ce que cet autre existe.

Tu es aussi cet autre Anna . V.
Je suis fier de tes quinze premières années,
de la jeune femme que tu deviens, je suis fier de ton savoir,
de tes hésitations, de ta curiosité, de ta passion, de tes engouements.
je suis fier des êtres que tu te choisis pour amis, qui t’ont choisie pour amie
par ce que je sais qui tu es.
Je sais ton courage et je sais ta persévérance.
Je t’ai vue enfant accueillir la naissance de ta soeur avec ta douceur et ta vitalité.
Je t’ai vue dans l’épreuve du deuil, dans cette présence les derniers temps auprès de ta grand mère,
j’ai vu ta délicatesse, ta sollicitude à lui préparer des repas, à l’écouter, à être présente au moment de son épreuve, de votre épreuve.
Et ces extrèmes de la vie, ces moments cardinaux,
me font te dire, ce jour de ton anniversaire que tu es un être entier, profondément humain, une jeune femme dans cette galaxie complexe que j’aimerais toujours. 
Non pas par nos liens de sang mais par ces liens de nos esprits : i shin den shin :
de ton âme à mon âme comme dit la sagesse zen
que ta vie soit un continuel printemps, je t’aime

je t’appelle Anna. V, Anna Venezia pour que tu te rappelles que de ton prénom à ton nom
coule l’histoire de plusieurs, de multiples générations d’hommes et de femmes qui ont voyagé, bâti, fait évoluer les idées et la vie est cela :
oser nos passions quand nos passions nous portent.
Tu es venezia, ville libre comme une nouvelle athènes et mahé ce comptoir de l’inde.Tu es multiple et ta jeune existence à maitriser ton destrier, à aimer l’animal, l’entraîner à se dépasser
me montre chaque jour combien tu fus précoce combien tu es entreprenante. Tu as enrichi nos êtres-parents, tu as cette part de ta mère qui est sa beauté et sa lucidité et tu vas ton chemin, armée de ton jeune savoir, poursuis ton oeuvre
ma douce enfant, deviens ce que tu es.


samedi 16 avril 2011

15 avril 2011/Massive Attack - karmacoma (live)



en faisant un carton de livres, ai mis la main sur un titre dont je ne me rappelais plus “près du coeur sauvage” de clarice lispector. Une phrase zébrée la page intérieure “au père de ma filleule, de votre suèdois préféré, imor.”
Je me mis à lire les première pages et compris assez vite qu’en escamotant sa lecture en 1999, je ne m’étais pas facilité ma tâche de père. 
Certains récits, certains romans à mille lieux des modes d’emploi et autres essais de psychologie primaire sont des pépites pour enrichir sa propre perception du monde.


“je vivrai plus grande que dans l’enfance, je serai brutale et mal faitecomme une pierre, je serai légére et vague comme ce que l’on sent et ne comprend pas, je me dépasserai en ondes ; ah Dieu et que tout vienne et tombe sur moi jusqu’à l’incompréhension de moi même en certains moments blancs par ce qu’il suffit de m’accomplir et alors rien n’empéchera mon chemin jusqu’à la mort sans peur, de toute lutte ou repos, je me léverai forte et belle comme un jeune cheval.


narrait la quatrième de couverture : assez pour savoir que le livre serait remis à anna Venezia sa jeune filleule qui allait à la fin de ce mois vers ses 16 ans.


Jade, qui a aussi pâti de mes limites de “Pater”, au jeu du -père idéal- auquel je la conviais récemment me répondit :
*j’aimerai qu’il soit jeune, 40 ans, et qu’il soit noir!”.
Attendant ma réaction d’un regard dubitatif tandis que mon neurone chauffait ardemment : sur l’âge, je percevais, -comme les pères de ses copines, l’énergie, la joie de vivre, les attentes affichées de sa mère mais “noir”?
Je pensais à la danse à la musique, à l’esthétique de ces corps si musclés, je devais trouver une réponse tout aussi colorée sinon mon ego serait encore plus écorné à ses yeux!


J’émis avec un j mais peut être dans la sonorité de la voix un g,-" mais alors tu serais noire! 
L’enfant ne sembla pas outrement inquiète.
*”non café au lait, métisse répondit elle car ma mére est blanche”.
C’est sur sa mère était bien blanche et d’ailleurs ne rêvait-elle pas d’un beau corps noir à ses côtés.


Je grimaçais intérieurement voyant la berge “familiale s’éloignait à chaque vague de mots.
-”Et que ferait-il dans la vie, ce père jeune et noir? continuais-je
*”il serait médecin, et nous irions en vacances en guadeloupe, chez nos grands-parents”


Là c’était clair, limpide et somme toute revigorant. Cet enfant n’avait pas cette étrange peur de l’autre, différent par la couleur, par la culture, elle aspirait même au partage et aux voyages et je me dis que viendrait le temps où je lui offrirai les “cahiers du retour au pays natal” d’aimé césaire, né un 26 juin comme sa mére.
Poursuivant je demandais -”et ta mère?”
*” ben, elle est blanche (là il s’agissait de la réelle) et elle serait biologiste (d’où connaissait-elle la profession, ah peut être “les experts miami-amiami”) mais elle serait en congé parental ponctua-telle.


Je lui fit aussitot remarquer qu’un congé de dix ans ne figurait pas dans le code du travail mais elle n’en avait que faire * “c’est comme çà “.
Je n’ajoutais plus rien, nous passions devant “grand frais” le magasin écoutant NRJ, j’avais envie d’écouter massive attack “karmacoma” mais jade gérait le programme et le bolide glissait étrangement au ralenti

jeudi 14 avril 2011

1993 agost'oh /Abd Al Malik - Mon amour feat Wallen (clip officiel)



à 5 h du matin la voix d’abdel malik m’a cueilli et je me suis immédiatement demandé quel était l’esprit malin, qui, de si bonne heur/ bonheur torturait mon âme inéveillée.
“my baby is a heroe”.
L’idée ne m’aurait pas effleuré qu’une lady puisse ainsi lancer au tout venant son ode à l’amour me concernant! 
Ces deux dernières décennies furent à dominante récriminations. Pas assez ceci, trop cela. 
Je me souviens d’avoir écrit un plaidoyer de près de 200 pages à la princesse qui me licencia de sa couche sans préavis sous l’évidence d’un contrat à durée qu'elle déterminait, signant le même jour un cdi à “un ami de toujours” dont elle se gaussait quelques années auparavant.
Le trauma fut tel que je perdis 10 kgs en l’espace d’un mois. Brûlant mes calories dans des errances sans but entre la mairie du 18 éme et les buttes chaumont et déjà de jeunes impertinents me criaient “allez papy”, tiens bon! Papy tint. 
Mais je savais au fond de moi que la belle avait raison, mon côté looser que je semblais cultiver devenait lassant avec le temps d’autant que mes vélléités d’écrivain s’étirait en deux mots. 
Elle eut cet égard de ne point m’éxécuter d’un, par exemple :
“quant au pieux tu n’es pas un épieu, ce qui vous en conviendrez est différent du né pieux. 


Et dire qu’une révolution s’opérait en moi au point de lui avouer sine die combien j’étais prêt à avoir un enfant d’elle. Mais ailes déployées se mit illico à décoller vers son prince charmant aux vertus certainement plus attractives.
Le paradigme amoureux n’est parfois pas éloigné des lois du marché. Je ne faisais pas partie des valeurs refuges et j’avais eu l’impertinence de déclarer quelques mois auparavant que nous ne vieillirions pas ensemble. 
Elle me rappela ma prophétie, me félicitant de l’anticipation et de ce savoir à peaufiner. 
En ce mois d’aout 1993, j’eus le temps de gamberger sur la devise jusqu’au détour imposé vers un divan psychanalytique qui n’exorcisa pas radicalement le dit vain.


Mais cela je ne le compris qu’une quinzaine d’années plus tard.


mardi 12 avril 2011

14 nissan 5753 :Antony and the Johnsons - Hope there's someone, live




13 avril 1993

“je roule à trés grande vitesse, à je ne sais quelle vitesse et c’est insuffisant. Je me rapproche et ne peux rattraper son temps de vie qui ralentit à l’approche de l’inéluctable. J’appelle inéluctable : la mort. Non pour la métonymie, mais pour ces souvenirs de ces dimanches al campo santo, accompagnant ma grand mère : initiation paradoxale à la vie. 

Et je ne comprenais pas ce que mourir signifiait, ni pourquoi il fallait mourir ni pourquoi il fallait accepter et ...pleurer. Et je m’étais mis en tête de refuser la mort.
Je ne sus que nommer autrement ces effets qui s’insinuaient dans ma vie, forçant comme un coin, écartant sur un vide.
L’inéluctable comme une vis vrille mon esprit de son travail implacable et les souvenirs en copeaux attestent de son indifférente constante à torsader le temps sur les corps, brisant le choisi, agenouillant le survivant.
Et sa musique me murmurait l’inutilité de lutter : résonnance italienne : “il lutto” : le temps du deuil et des larmes des femmes égrenant le rosaire.

Des mots sur un carnet, phrases-balancier sur mon propre vide m’accompagnent et tressent une fiction de filet. Mental effondré. Sur la vie ne voir que l’ultime devenir et dans les yeux des êtres chers : leur perte.
Le temps dans mes veines : congelé
Je ne posséde aucun savoir sur l’existence. Toujours étais démuni. Trou noir, notant les éclats, la brillance, l’énergie, la présence d’étoiles au loin sans nostalgie.”
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Imor a de grandes mains qui s’agitent au rythme de sa voix quand il parle en français. Imor ne parle pas. Il orchestre des mots de son index droit, bagué d’une pierre noire. A l’écouter je découvre une langue, ma langue et en viens à l’aimer. 
Son français a une dominante littéraire, comme le parlent seuls les francophones d’origine africaine. Cette syntaxe a la vertu de m’intimider tant on sent le souci de l’accord des temps de la justesse des mots.
Etrangement Imor y greffe une gestuelle très italienne du discours. Ses phrases se font amples et ses anecdotes, des odyssées. Parfois quand dans ce flot se glisse un contresens, Claude s’en amuse et joue au précepteur en le charriant. C’est entre eux le signal d’un jeu convenu dans leur langage amoureux. Comme si l’oriental devenu silencieux attendait ce signal pour revenir sur une scéne , temporairement prêtée.
Mon regard s’est fait attentif quand claude m’a presenté Imor à son retour de Stokholm.J’ai écrit “présenté” sur mon carnet tant j’étais surpris de l’importance que cela revêtait pour lui, d’autant que je n’étais pas parmi ses plus proches. 
Je vivais alors avec une jeune femme qu’il avait aimé avant qu’elle ne s’éprenne du garçon qu’il lui avait présenté. Le garçon s’était détourné de l’une et de l’autre. La jeune femme avait trouvé une compensation momentanée : moi. 
Et claude frappait de temps à autre à sa porte, reprenant le fil de leur amitié singulière. 
Nos corps s’étaient retrouvés sur la couche de “l’aimée” avant qu’un traducteur aît pu me préciser ce que je faisais entre eux deux. Je ne m’étais pas senti trahi. Non par le fait d’avoir déjà goutter des situations analogues mais par ce qu’il n’y avait pas de rivalité entre lui et moi. Je le ressentais intuitivement. Claude ne calculait pas. Il était enveloppant quand il éprouvait de l’affection, pouvait se tenir en retrait ou vous faire partager sa passion pour un film, des idées, une exposition ou un être qui avait traversé sa vie à un moment. 
Sa relation à J gardait connivences et secrets de couple, dérivant comme souvent vers de mutuelles récriminations. Je restais témoin muet de leur passé sans interférer.
Toute la personnalité de Claude me mettait en porte à faux dans un effet-miroir sur un vide que je cultivais. Il affichait un dandysme que lui permettait sa beauté, en jouait et ce qui d’ordinaire m’aurait courroucé, éloigné, semait des interrogations. J’avais nommé dés le début “dandysme” son besoin solaire de paraître et m’étais bien vite rendu compte qu’il n’y avait rien de superficiel en lui.
Claude était désir, là où j’étais renoncement et nos mondes m’étaient apparus d’emblée symétriques. L’épreuve des corps comme vases communiquants m’avait révélé le relief de ma vacuité. Je simulais quand lui aimait. L’ébat entre nous s’était révélé vain tant mon corps s’absentait à ses caresses et ma verge, coudrier impuissant, ne décelait pas source de vie.
Il ne s’en était pas offusqué. Le désir l’irradiait et je me demandais comment un garçon pouvait me désirer tant je n’avais rien d’un apollon laissant mon corps a volo sous prétexte d’autres impératifs. Et je n’en avais aucun. J’hibernais d’un hiver de quinze années. Dans une glaciale culpabilité. alibi pour ne pas penser, ne pas aimer. Végéter. Sous le soleil méditerranéen. Jusqu’à ce que cette fille délivre un sésame et m’entraina dans son repaire parisien.

Chaque fois que nous nous croisions, Claude me libérait de secrets que je ne voulais plus garder, au grand soulagement de J, lasse de ces mêmes confidences.
J’étais un marrant. Mon sujet favori était la mort. La peur de la mort.. La mort de l’autre. Comme un buvard Claude prenait les mots sous une autre perspective et les redéposaient asséchés de leurs maléfices. Ces moments se convertissaient en mon esprit dans une métaphysique qui me transcendait. Je sentais ce souci de l’autre, cette attention immédiate à investir la part humaine en partage, de s’en porter témoin comme dans un hommage à des moments de vie.

J’étais un incroyant par ce que ce monde sans dieu m’était plus compréhensible. Ma foi ne s’éveillait qu’au contact d’êtres livrant cette étincelle où s’embrase la joie d’exister.
J’étais en apprentissage et Claude qui était mon cadet de cinq ans m’enseignait.
Tuteur sans le savoir, il m’insufflait son regard sur le beau, sur son gout d’une vie sous le sceau de l’esthétique. J’étais un mauvais éléve, trop d’inhibitions. Seule ma curiosité lézardait ces handicaps et m’avait fait remarquer son engouement pour les vêtements de grandes marques, ce soin, quasi maniaque à enfiler des embauchoirs dans ses chaussures dès qu’il les otait. Tant de gestes empreints de cohérence. Claude était bien la première personne dont je pouvais penser qu’elle avait un art de vivre. J’étais impressionné. Comme je l’avais été vingt ans auparavant par une enfant qui brulait sa vie
“sans temps mort et sans entrave”, au de là du slogan et des images à la james dean pour s’éteindre dans un hôpital de province par ce que le seul poumon artificiel du département était déjà occupé.
Claude m’impressionnait et j’en avais déduit que nous ne jouins pas dans la même catégorie, non par ce qu’il préérait les garçons : il était aimé des filles aussi : mais par ce qu’il aimait la vie.

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“Je roule à très grande vitesse, les paysages dans cet accéléré ne captent pas mon attention. Je suis entre Paris et Lyon : immobile, sur un siège et déjà à son chevet. Dépouillé. 
Et le silence me traverse comme un signal lumineux. Je cherche dans mon carnet un passage recopiè du Livre de Samuel :
-”12. Or David était le fils de cet éphratien de bethléem de juda, nommé Isaie, qui avait huit fils, et qui du temps de Saul était avancé en âge.
-13 Les trois fils ainés d’Isaïe avaient suivi Saul à la guerre ; le premier né de ses trois fils qui étaient partis pour la guerre s’appelait Eliab, le second Abinabad et le troisième Schamma
-14. David était le plus jeune. Et lorsque les trois ainés eurent suivis Saul,
-15. David s’en alla de chez Saul et revint à Bethléem pour faire paître les brebis de son père...”
Les mots glissent sur ce temps devenu insensé, flux d’une autre durée.
Enfant, j’aimais les contes qui allaient accompagner l’épreuve de la nuit, projetant leurs images sur l’écran noir : redouté.

J’ai écrit ces mots de l’Ancien Testament, non par croyance mais par respect. Je cherche des mots pour Claude, des mots qui ne diront rien de lui, des mots qui ne seront jamais lui, des mots qui sément sa présence en mon esprit.. 
Je lis le Livre humblement pour Claude-Ruben, jeune juif qui m’a offert son amitié, son sourire, son affection et qui prenait le temps d’écouter mes impasses quand sa vie et sa durée étaient comptées : étaient sans prix. 
Je lis le Livre pour amorcer sa voix en moi, pour être éveillé à ce privilége de cette indéfectible rencontre qui me rend autre à moi même. 
Je lis le livre les yeux baissés devant son épreuve et il bravait le temps de son appareil photo toujours à portée de sa main, inscrivant son visage sur l’instant suspendu. 
Je lis le Livre pour honorer sa pudeur à s’avancer à découvert et son courage à ne rien brader. Je lis le Livre pour irriguer ma mémoire et ancrer sa vie comme un savoir vivifiant et Présent. 
Je lis le Livre cheminant sur des traces pour retrouver cette part de lui qui l’a conduit plus loin. Je lis le Livre tissant le lien de mes mots murmurés à son souffle soustrait et seuls mes mots ne sauraient pas lier, ne sauraient pas raccorder Claude-Ruben à l’histoire humaine que le Livre conte.>>

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Imor a de grandes mains, fortes et précises, délicates. La serviette qu’elles tiennent éponge la sueur perlant sur le frontde Ruben, sur son corps en souffrance. Toutes à leurs tâches, sans hésitation devant l’avenir, dans un langage entendu, porteuses de leur derniers messages.
A les voir, je découvre ce qu’aimer veut dire. A le voir je comprend la fierté de Ruben quand il le présentait<; Cette fierté devant l’Eldorado. Et sa surprise d’être captivé par cet autre qui vous ravit par ce qu’il a de plus intense. Ruben, intarissable sur ce jeune suédois plus dandy que lui, plus exigent que lui, plus passionné que lui, prêt à l’aimer, prêt à l’épreuve et chaque année je recevais en forme de carte postale, leur photo côte à côte, zébrée d’un <chana Tova> écrit à la hâte qui donnait à ce voeu une espérance renouvelée.
Me viens le souvenir de leur jubilation à se présenter mutuellement d’un <voici mon mari> livrant l’interlocuteur à un infini questionnement ponctué par leurs éclats de rire.

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Les mains d’Imor reposent la serviette. Près du lit, il se rassoie et reprend la main de Ruben, endormi.
Je me dis que la véritable passion est une vertu de vikings. Son visage de jeune page est celui d’un guerrier au combat. Depuis quatre ans il guerroie au côté de son élu, ce temps qui entame, la fatigue qui gagne, ils guerroient le cynisme, l’indifférence de la mécanique hospitalière.
Ils ont choisi le combat pour être ensemble. Leurs esprits habitent l’épreuve. Leurs esprits ont visité tous les recoins de l’épreuve jusqu’au passage plus étroit où l’un s’effacera.

Ce soir Imor veille, comme les soirs précédents depuis leur retour de Stockholm pour de nouveaux soins. Entouré par la famille de Ruben.
Sait-il, ce viking, qu’il ramène <<...vers le père, le coeur du fils et vers le fils, le coeur du père>>. Et ces mots venus de si loin sont plus qu’un destin. Ils portent le souffle de cet amour qui réunit en séparant et se projette en mon esprit <Pandora> ce film avec Ava Gardner et James mason et je croyais entendant << will you die for me?>> découvrir le principe de l’amour et j’ignorais combien la vie redimensionnerait la séquence me faisant témoin d’une passion qui demande à l’autre de lui survivre. Et mes yeux fixaient la main d’Imor serrant celle de Ruben et je n’osais les regarder, rappelé à des souvenirs qui m’ombraient d’indignité.
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<< Je roule à très grande vitesse et cela n’a plus d’importance. Les paysages semblent se rebobiner et chaque moment de ces vingt quatre heures s’empile, désordonnée. J’ai anticipé ces moments comme l’on prépare un voyage, décalquant sur ce carnet fétiche , le trajet.
Et je lis les mots qui m’ont guidé :
<<16. Le philistin s’avançait midi et soir et il se présenta pendant quarante jours...>>
Ruben aété vaincu. Cette fois Goliath s’est avancé silencieux, sur sa tête point de casque d’airain ; point de cuirasse à écailles sur son torse. Point de javelot n’armait son bras, non cette fois Goliath ne fut pas le géant de six coudées et un empan qui réclamait le combat singulier.
Et le combat inégal devint plus inégal.

Je lis le Livre pensant à Imor et je n'ai plus de mots. Mes mains accrochées au carnet , feuillettent pour retrouver ce cantique funébre que David composa pour Saul. et Jonathan.

Machinalement ma main a saisi le stylo suivant à la trace chaque ligne:

26. Je suis dans la douleur, à cause de toi, Jonathan, mon frère..
puis de manière appuyée a souligné :
Tu faisais tout mon plaisir... : ton amour pour moi était admirable au dessus de l’amourdes femmes.>>

et au point final a daté

14 nissan 5753