jeudi 27 novembre 2014

novembre pluvieux




j'étais dans le ressac, un état originel. Mon esprit valétudinaire, chahuté de pensées multiformes se laissait porter par les événements. J'avais le sentiment encré que l'intellect qui me faisait agir était tributaire de mon énergie et que cette énergie n'était pas la simple résultante des fonctionnements moléculaires et électriques de mon enveloppe charnelle mais dépendait tout autant de cette musique/poésie/perception du monde que mes sens enregistraient.
Était ce d'avoir été conçu dans une matrice tourmentée qui irriguait en moi le chaos comme un milieu propice? J'étais dans un état d'alerte. Ma vue s'obscurcissait et ce monde devenu moins obscur s'avérait tout autant incompréhensible. Je ne trouvais pas plus qu'hier ma place ni une légèreté à vivre. J'acceptais ma défaite et je sentais intuitivement que mon énergie glissait dans une hémorragie diffuse. Je ne trouvais pas de musique ni d'ancrages nourriciers. J'avais besoin d'eau, de mer, de ces froides baignades automnales qui apaisent toute fièvre.
Je ne sais pourquoi la liberté n'a jamais été ma quête, je ne sais pourquoi nulle ambition n'a vraiment vertébré mon être pourtant ma curiosité était vive. Mon ingénuité a constitué un sisyphe impénitent.
La connaissance eut pu stimuler mon existence si mes manques ontologiques ne m'avaient cantonné dans des chemins buissonniers. Même quand tu ne veux pas payer le prix de l'effort, tu le paies.
Dans cet entre deux, je découvrais un plaisir nouveau. Écrire en faisant de la cuisine. Deux façons de se sustenter. suis tenté. J'associais à la cuisine ce temps de la rêverie où l'esprit travaille l'aliment et la pensée, les souvenirs gustatifs, la vision de sa propre histoire nutritionnelle, ce savoir-faire révélé par des femmes, cet antre vu au travers des temps, cette ouverture sur le plaisir mais aussi le souci, cette générosité qui traverse l'acte de cuisiner pour autrui pour ses proches, pour ses prémices d'une sensualité naissante, à deviner. Je me sentais terriblement misogyne et profondément redevable à tous ces êtres qui avaient cuisiné pour moi, aussi.















aout 1975




les lois ne changent que portées par l'action des anonymes. Il en a été ainsi pour le droit à l'avortement. L'histoire immortalise la courageuse ministre de l'époque Simone Veil, moi je retiens l'aimée, je garde en mémoire les tribulations d'alors, cet été 1971 pour trouver un médecin qui accepte de faire ce geste nécessaire, je revois les portes qui se ferment, le cynisme et la vulgarité de ces médecins véreux et moralisateurs.
Une jeune fille de 17 ans participa dans ces années à l'action du mouvement pour la contraception et l'avortement au côtés de quelques médecins, d'infirmières et d'autres anonymes. Elle s'engagea dès la sortie de son épreuve avec ce savoir profond de ce que pouvez vivre une femme devant une gestation non souhaitée.
Pat était asthmatique. Une grossesse était hautement problématique. Elle avait fait un premier coma à dix ans, elle en fit un second de dix jours, six mois après l'avortement.
Elle décéda le 7 aout 1975 à l'hopital Pasteur de Nice où elle ne put être réanimée, elle avait 20 ans, 8 mois et six jours. Une vie intense et brève, une vie en alerte en quête de joies, de rencontres, de plaisir, une vie debout.




mardi 18 novembre 2014

vint Mai 1955

Reçu le corps 18 mai 1955 à 12h 50
Diagnostic : fracture du crâne par balle de revolver
Casablanca 20 mai 1955


j’ai trouvé cet automne l’annonce jaunie au dos de cette  photo d’un couple tout juste marié.
Vous héritez d’un lieu, vous héritez de son histoire ou plutôt de ces fragments d’histoire.
Je n’ai jamais connu Claude. J’ai longtemps vécu avec Pierrette. Elle fut avec ma grand-mère, ma seconde tutrice. J’appris très tôt le sens du mot veuve. Mes tutrices étaient veuves. Nous allions le dimanche au « campo santo » saluer leurs époux qui étaient « partis ».  
La photo de Piètro trônait sur la table de chevet dans la chambre de grand-mère. Nulle photo dans celle de Pierrette. Seul un Christ en bronze sur une croix de bois que je nommais « l’homme dans l’arbre". 
Pierrette murée dans son chagrin. 

Tonton Dinu, le frère de grand-mère, seul homme de la maisonnée qui gardait dans ses bronches les restes de la guerre de 14-18, me conviait à ne pas multiplier mes-mais pourquoi.

 « Zitto, signorino Perchè »


Un jour assis sur ses genoux jouant avec ses bacchantes, sous la tonnelle de vigne qui ombrageait la casa, nous vîmes avancer un militaire en uniforme. 
Dinu me le présenta comme le frère de Claude. 
« è il tuo zio, giami » ajouta-t-il « si chiama Marcello ». 

Dans ce monde de femmes, Dinu répondait à mes pourquoi, à mes « dis moi, Dinu » . 
A l’automne 1959, Dinu s’éteignit. 
Fus penché dans la boîte où il était allongé, je tendis la main pour tirer les bacchantes 
et sentis ce froid si particulier de la rigidité cadavérique.  

Je criai, me débattis et quittai le cercle des pleureuses pour me cacher derrière le noisetier . 
La mort, ce jour là, prit place dans mon vocabulaire. 
Il se peut que ce jour fonda et mon vocabulaire et ce que je ne voulais pas entendre. 
Comme Dinu, Claude et Piétro étaient morts. 
Ils n’étaient pas partis. 
Ils étaient froids.  
Froids comme le marbre de leur « maison nel campo santo». 
Dinu n’était plus là pour me dire « stai zitto Giami » 
et je compris aussi que je devais avoir mes secrets.