j'étais dans le ressac, un état originel. Mon esprit valétudinaire, chahuté de pensées multiformes se laissait porter par les événements. J'avais le sentiment encré que l'intellect qui me faisait agir était tributaire de mon énergie et que cette énergie n'était pas la simple résultante des fonctionnements moléculaires et électriques de mon enveloppe charnelle mais dépendait tout autant de cette musique/poésie/perception du monde que mes sens enregistraient.
Était ce d'avoir été conçu dans une matrice tourmentée qui irriguait en moi le chaos comme un milieu propice? J'étais dans un état d'alerte. Ma vue s'obscurcissait et ce monde devenu moins obscur s'avérait tout autant incompréhensible. Je ne trouvais pas plus qu'hier ma place ni une légèreté à vivre. J'acceptais ma défaite et je sentais intuitivement que mon énergie glissait dans une hémorragie diffuse. Je ne trouvais pas de musique ni d'ancrages nourriciers. J'avais besoin d'eau, de mer, de ces froides baignades automnales qui apaisent toute fièvre.
Je ne sais pourquoi la liberté n'a jamais été ma quête, je ne sais pourquoi nulle ambition n'a vraiment vertébré mon être pourtant ma curiosité était vive. Mon ingénuité a constitué un sisyphe impénitent.
La connaissance eut pu stimuler mon existence si mes manques ontologiques ne m'avaient cantonné dans des chemins buissonniers. Même quand tu ne veux pas payer le prix de l'effort, tu le paies.
Dans cet entre deux, je découvrais un plaisir nouveau. Écrire en faisant de la cuisine. Deux façons de se sustenter. suis tenté. J'associais à la cuisine ce temps de la rêverie où l'esprit travaille l'aliment et la pensée, les souvenirs gustatifs, la vision de sa propre histoire nutritionnelle, ce savoir-faire révélé par des femmes, cet antre vu au travers des temps, cette ouverture sur le plaisir mais aussi le souci, cette générosité qui traverse l'acte de cuisiner pour autrui pour ses proches, pour ses prémices d'une sensualité naissante, à deviner. Je me sentais terriblement misogyne et profondément redevable à tous ces êtres qui avaient cuisiné pour moi, aussi.