m’étais mis à boire du thé. Faut dire que l’alcool n’a pas que des vertus sur mon corps près de la soixantaine. Etais je devenu sage? L’idée d’un carème à ma sauce me titillait. Trouver (re) poids idéal, muscler un peu plus corps et mental.
A vivre dans ce 40m2 me faisait parfois penser à ces retraites monacales et quête d’un au de là (de soi) qui ne décevrait pas.
Cela avait été un choix par défaut.
M’étais projeté dans une vie de famille avec une quête d’être conforme faute d’être conformiste. N’avais jamais eu d’idées très arrêtées sur ce qu’était être père.
Avais toujours pensé que c’était là une résultante de l’amour : ces rôles de père et mère, métamorphose de l’amour.
Las la métamorphose avait rapidement fait de chaque partenaire
des étrangers, vivant côte à côte et saute d’humeurs.
Dois avouer que dans cette vie commune ne fut pas un marrant tous les jours.
La frustration faisant rapidement de moi : être aigri!
Les années s’étaient écoulées, pour l’une dans la fuite dans le boulot et pour moi dans des rêveries improductives.
Je ne sais si les “accidents” de la vie sont nécessaires
mais ils ont le mérite de vous mettre à nu le réel.
La perte d’un oeil en métaphore inversée vous rend soudain plus lucide.
“Garçon, (auto-interpellation), la vie ne remet pas le couvert. Tu ne t’embelliras pas avec le temps, tu ne seras pas le prince charmant, jeune et plein de vitalité dont elle en pince.”
Et chaque matin de se rendre compte de ce qui est soustrait à ton regard
et l’idée galopante de foncer vers l’obscurité.
Ne plus pouvoir lire, écrire.
Et d’embrasser la dépendance et ce sentiment de se faire horreur,
de glisser dans une perspective parasite.
Le handicap est un taraud subtil, il fore, vis sans fin.
La fatigue devient un manteau de fin de journée, à l’écran tu glisses de corps 12 à 14
et tu commences à gamberger sur la 3 D, lettres lego d’une écriture en relief.
à vivre la cécité comme menace tu en viens à jouir de pouvoir lire un jour de plus.
Mais il ne sert à rien de glisser dans des prédictions, ce qui advient : surprend toujours!
L’idée, l’idée banale et polie par le questionnement s’impose alors immanquablement : vivre, simplement vivre et peut être vivre simplement. Sans glorifier la jouissance à tous prix, sans se lancer de défis, essayer ce plaisir d’éliminer les masques, d’être face à l’autre le plus nu et exiger d’autrui la même nudité.
Vivre ce qui peut être vécu en tenant compte de ses enfants, de ses proches, en tenant compte de tous ceux qui nous sont proches jusqu’à nos disparus.
Je buvais du thé, à petites gorgées et ce n’étaient pas de la bière!
Je me rendais bien compte que j’étais un être confus, une pensée plus chaotique que dialectique.
J’avais toujours avancé à tatons et le tactile ne prédispose pas à la projection
au de là du toucher. J’étais allé de corps en corps, apprenant par une sorte de capillarité des sentiments. Au mot aimer, accordais une définition unilatérale.
Avais je aimé?
Ce qui est sur est que mon esprit fut conquis par la beauté de certains : à en être aimanté.
Etre conquis ne signifie par pour autant être prèsent à l’autre. Optais durant de longues années pour une stratégie de l’évitement
Pénelope was dead! Long time ago!
Ne fus point Ulysse. Tout juste le cyclope.
Avais failli au moment de l’épreuve.
La phrase revenait comme un mantra et bordait l’immédiat.
Parfois l’idée me revenait de chercher la tombe qui attestait du cauchemar mais
la sépulture par “magie” s’était diluée déjà dans l’éternité : rien n’attestait.
Eus pu croire en ma folie.
Qui a goutté au paroxysme :
porter corps sans connaissance à bout de bras littéralement
jusqu’aux urgences et attendre nuit et jour une sortie du coma
et se retrouver trente cinq ans après avec cette vision
et savoir que ces jours ne furent point les pires.
Me versais autre tasse de thé. L’infusion me rendait plus léger.
J’avais posé sur la table tréteau deux bijoux glânés sur un étal d’une grande surface.
Payés cash! Marie comprendra.
Le premier des éditions gallimard s’intitulait “sur la route”, le second d’erri de luca “le jour avant le bonheur”. Et je trouvais étrange que ces brûlots d’une vie hors du consumérisme, hors des vérités d’aujourd’hui se trouvent perdus dans le foisonnement des marchandises comme des ilots ironiques, des volcans en éruption parmi l’aseptisé du monde marchand,
ce monde de toutes les connivences, des renvois d’ascenseur, du nombrilisme en boucle sur le flux si peu détonnant appelé TNT .
Et je trouvais incompréhensible et au mieux ironique l’entrechoc de ces deux
titres , incapable de décider de leur hiérarchie : fallait-il commencer par “Sur la route” de Jack Kérouac et terminer par “Le jour avant le bonheur” d’Erri de luca ou l'inverse.
Et l'aruspice ne livrait pas encore sa réponse. La lecture pouvait commencer
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