mardi 12 avril 2011

14 nissan 5753 :Antony and the Johnsons - Hope there's someone, live




13 avril 1993

“je roule à trés grande vitesse, à je ne sais quelle vitesse et c’est insuffisant. Je me rapproche et ne peux rattraper son temps de vie qui ralentit à l’approche de l’inéluctable. J’appelle inéluctable : la mort. Non pour la métonymie, mais pour ces souvenirs de ces dimanches al campo santo, accompagnant ma grand mère : initiation paradoxale à la vie. 

Et je ne comprenais pas ce que mourir signifiait, ni pourquoi il fallait mourir ni pourquoi il fallait accepter et ...pleurer. Et je m’étais mis en tête de refuser la mort.
Je ne sus que nommer autrement ces effets qui s’insinuaient dans ma vie, forçant comme un coin, écartant sur un vide.
L’inéluctable comme une vis vrille mon esprit de son travail implacable et les souvenirs en copeaux attestent de son indifférente constante à torsader le temps sur les corps, brisant le choisi, agenouillant le survivant.
Et sa musique me murmurait l’inutilité de lutter : résonnance italienne : “il lutto” : le temps du deuil et des larmes des femmes égrenant le rosaire.

Des mots sur un carnet, phrases-balancier sur mon propre vide m’accompagnent et tressent une fiction de filet. Mental effondré. Sur la vie ne voir que l’ultime devenir et dans les yeux des êtres chers : leur perte.
Le temps dans mes veines : congelé
Je ne posséde aucun savoir sur l’existence. Toujours étais démuni. Trou noir, notant les éclats, la brillance, l’énergie, la présence d’étoiles au loin sans nostalgie.”
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Imor a de grandes mains qui s’agitent au rythme de sa voix quand il parle en français. Imor ne parle pas. Il orchestre des mots de son index droit, bagué d’une pierre noire. A l’écouter je découvre une langue, ma langue et en viens à l’aimer. 
Son français a une dominante littéraire, comme le parlent seuls les francophones d’origine africaine. Cette syntaxe a la vertu de m’intimider tant on sent le souci de l’accord des temps de la justesse des mots.
Etrangement Imor y greffe une gestuelle très italienne du discours. Ses phrases se font amples et ses anecdotes, des odyssées. Parfois quand dans ce flot se glisse un contresens, Claude s’en amuse et joue au précepteur en le charriant. C’est entre eux le signal d’un jeu convenu dans leur langage amoureux. Comme si l’oriental devenu silencieux attendait ce signal pour revenir sur une scéne , temporairement prêtée.
Mon regard s’est fait attentif quand claude m’a presenté Imor à son retour de Stokholm.J’ai écrit “présenté” sur mon carnet tant j’étais surpris de l’importance que cela revêtait pour lui, d’autant que je n’étais pas parmi ses plus proches. 
Je vivais alors avec une jeune femme qu’il avait aimé avant qu’elle ne s’éprenne du garçon qu’il lui avait présenté. Le garçon s’était détourné de l’une et de l’autre. La jeune femme avait trouvé une compensation momentanée : moi. 
Et claude frappait de temps à autre à sa porte, reprenant le fil de leur amitié singulière. 
Nos corps s’étaient retrouvés sur la couche de “l’aimée” avant qu’un traducteur aît pu me préciser ce que je faisais entre eux deux. Je ne m’étais pas senti trahi. Non par le fait d’avoir déjà goutter des situations analogues mais par ce qu’il n’y avait pas de rivalité entre lui et moi. Je le ressentais intuitivement. Claude ne calculait pas. Il était enveloppant quand il éprouvait de l’affection, pouvait se tenir en retrait ou vous faire partager sa passion pour un film, des idées, une exposition ou un être qui avait traversé sa vie à un moment. 
Sa relation à J gardait connivences et secrets de couple, dérivant comme souvent vers de mutuelles récriminations. Je restais témoin muet de leur passé sans interférer.
Toute la personnalité de Claude me mettait en porte à faux dans un effet-miroir sur un vide que je cultivais. Il affichait un dandysme que lui permettait sa beauté, en jouait et ce qui d’ordinaire m’aurait courroucé, éloigné, semait des interrogations. J’avais nommé dés le début “dandysme” son besoin solaire de paraître et m’étais bien vite rendu compte qu’il n’y avait rien de superficiel en lui.
Claude était désir, là où j’étais renoncement et nos mondes m’étaient apparus d’emblée symétriques. L’épreuve des corps comme vases communiquants m’avait révélé le relief de ma vacuité. Je simulais quand lui aimait. L’ébat entre nous s’était révélé vain tant mon corps s’absentait à ses caresses et ma verge, coudrier impuissant, ne décelait pas source de vie.
Il ne s’en était pas offusqué. Le désir l’irradiait et je me demandais comment un garçon pouvait me désirer tant je n’avais rien d’un apollon laissant mon corps a volo sous prétexte d’autres impératifs. Et je n’en avais aucun. J’hibernais d’un hiver de quinze années. Dans une glaciale culpabilité. alibi pour ne pas penser, ne pas aimer. Végéter. Sous le soleil méditerranéen. Jusqu’à ce que cette fille délivre un sésame et m’entraina dans son repaire parisien.

Chaque fois que nous nous croisions, Claude me libérait de secrets que je ne voulais plus garder, au grand soulagement de J, lasse de ces mêmes confidences.
J’étais un marrant. Mon sujet favori était la mort. La peur de la mort.. La mort de l’autre. Comme un buvard Claude prenait les mots sous une autre perspective et les redéposaient asséchés de leurs maléfices. Ces moments se convertissaient en mon esprit dans une métaphysique qui me transcendait. Je sentais ce souci de l’autre, cette attention immédiate à investir la part humaine en partage, de s’en porter témoin comme dans un hommage à des moments de vie.

J’étais un incroyant par ce que ce monde sans dieu m’était plus compréhensible. Ma foi ne s’éveillait qu’au contact d’êtres livrant cette étincelle où s’embrase la joie d’exister.
J’étais en apprentissage et Claude qui était mon cadet de cinq ans m’enseignait.
Tuteur sans le savoir, il m’insufflait son regard sur le beau, sur son gout d’une vie sous le sceau de l’esthétique. J’étais un mauvais éléve, trop d’inhibitions. Seule ma curiosité lézardait ces handicaps et m’avait fait remarquer son engouement pour les vêtements de grandes marques, ce soin, quasi maniaque à enfiler des embauchoirs dans ses chaussures dès qu’il les otait. Tant de gestes empreints de cohérence. Claude était bien la première personne dont je pouvais penser qu’elle avait un art de vivre. J’étais impressionné. Comme je l’avais été vingt ans auparavant par une enfant qui brulait sa vie
“sans temps mort et sans entrave”, au de là du slogan et des images à la james dean pour s’éteindre dans un hôpital de province par ce que le seul poumon artificiel du département était déjà occupé.
Claude m’impressionnait et j’en avais déduit que nous ne jouins pas dans la même catégorie, non par ce qu’il préérait les garçons : il était aimé des filles aussi : mais par ce qu’il aimait la vie.

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“Je roule à très grande vitesse, les paysages dans cet accéléré ne captent pas mon attention. Je suis entre Paris et Lyon : immobile, sur un siège et déjà à son chevet. Dépouillé. 
Et le silence me traverse comme un signal lumineux. Je cherche dans mon carnet un passage recopiè du Livre de Samuel :
-”12. Or David était le fils de cet éphratien de bethléem de juda, nommé Isaie, qui avait huit fils, et qui du temps de Saul était avancé en âge.
-13 Les trois fils ainés d’Isaïe avaient suivi Saul à la guerre ; le premier né de ses trois fils qui étaient partis pour la guerre s’appelait Eliab, le second Abinabad et le troisième Schamma
-14. David était le plus jeune. Et lorsque les trois ainés eurent suivis Saul,
-15. David s’en alla de chez Saul et revint à Bethléem pour faire paître les brebis de son père...”
Les mots glissent sur ce temps devenu insensé, flux d’une autre durée.
Enfant, j’aimais les contes qui allaient accompagner l’épreuve de la nuit, projetant leurs images sur l’écran noir : redouté.

J’ai écrit ces mots de l’Ancien Testament, non par croyance mais par respect. Je cherche des mots pour Claude, des mots qui ne diront rien de lui, des mots qui ne seront jamais lui, des mots qui sément sa présence en mon esprit.. 
Je lis le Livre humblement pour Claude-Ruben, jeune juif qui m’a offert son amitié, son sourire, son affection et qui prenait le temps d’écouter mes impasses quand sa vie et sa durée étaient comptées : étaient sans prix. 
Je lis le Livre pour amorcer sa voix en moi, pour être éveillé à ce privilége de cette indéfectible rencontre qui me rend autre à moi même. 
Je lis le livre les yeux baissés devant son épreuve et il bravait le temps de son appareil photo toujours à portée de sa main, inscrivant son visage sur l’instant suspendu. 
Je lis le Livre pour honorer sa pudeur à s’avancer à découvert et son courage à ne rien brader. Je lis le Livre pour irriguer ma mémoire et ancrer sa vie comme un savoir vivifiant et Présent. 
Je lis le Livre cheminant sur des traces pour retrouver cette part de lui qui l’a conduit plus loin. Je lis le Livre tissant le lien de mes mots murmurés à son souffle soustrait et seuls mes mots ne sauraient pas lier, ne sauraient pas raccorder Claude-Ruben à l’histoire humaine que le Livre conte.>>

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Imor a de grandes mains, fortes et précises, délicates. La serviette qu’elles tiennent éponge la sueur perlant sur le frontde Ruben, sur son corps en souffrance. Toutes à leurs tâches, sans hésitation devant l’avenir, dans un langage entendu, porteuses de leur derniers messages.
A les voir, je découvre ce qu’aimer veut dire. A le voir je comprend la fierté de Ruben quand il le présentait<; Cette fierté devant l’Eldorado. Et sa surprise d’être captivé par cet autre qui vous ravit par ce qu’il a de plus intense. Ruben, intarissable sur ce jeune suédois plus dandy que lui, plus exigent que lui, plus passionné que lui, prêt à l’aimer, prêt à l’épreuve et chaque année je recevais en forme de carte postale, leur photo côte à côte, zébrée d’un <chana Tova> écrit à la hâte qui donnait à ce voeu une espérance renouvelée.
Me viens le souvenir de leur jubilation à se présenter mutuellement d’un <voici mon mari> livrant l’interlocuteur à un infini questionnement ponctué par leurs éclats de rire.

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Les mains d’Imor reposent la serviette. Près du lit, il se rassoie et reprend la main de Ruben, endormi.
Je me dis que la véritable passion est une vertu de vikings. Son visage de jeune page est celui d’un guerrier au combat. Depuis quatre ans il guerroie au côté de son élu, ce temps qui entame, la fatigue qui gagne, ils guerroient le cynisme, l’indifférence de la mécanique hospitalière.
Ils ont choisi le combat pour être ensemble. Leurs esprits habitent l’épreuve. Leurs esprits ont visité tous les recoins de l’épreuve jusqu’au passage plus étroit où l’un s’effacera.

Ce soir Imor veille, comme les soirs précédents depuis leur retour de Stockholm pour de nouveaux soins. Entouré par la famille de Ruben.
Sait-il, ce viking, qu’il ramène <<...vers le père, le coeur du fils et vers le fils, le coeur du père>>. Et ces mots venus de si loin sont plus qu’un destin. Ils portent le souffle de cet amour qui réunit en séparant et se projette en mon esprit <Pandora> ce film avec Ava Gardner et James mason et je croyais entendant << will you die for me?>> découvrir le principe de l’amour et j’ignorais combien la vie redimensionnerait la séquence me faisant témoin d’une passion qui demande à l’autre de lui survivre. Et mes yeux fixaient la main d’Imor serrant celle de Ruben et je n’osais les regarder, rappelé à des souvenirs qui m’ombraient d’indignité.
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<< Je roule à très grande vitesse et cela n’a plus d’importance. Les paysages semblent se rebobiner et chaque moment de ces vingt quatre heures s’empile, désordonnée. J’ai anticipé ces moments comme l’on prépare un voyage, décalquant sur ce carnet fétiche , le trajet.
Et je lis les mots qui m’ont guidé :
<<16. Le philistin s’avançait midi et soir et il se présenta pendant quarante jours...>>
Ruben aété vaincu. Cette fois Goliath s’est avancé silencieux, sur sa tête point de casque d’airain ; point de cuirasse à écailles sur son torse. Point de javelot n’armait son bras, non cette fois Goliath ne fut pas le géant de six coudées et un empan qui réclamait le combat singulier.
Et le combat inégal devint plus inégal.

Je lis le Livre pensant à Imor et je n'ai plus de mots. Mes mains accrochées au carnet , feuillettent pour retrouver ce cantique funébre que David composa pour Saul. et Jonathan.

Machinalement ma main a saisi le stylo suivant à la trace chaque ligne:

26. Je suis dans la douleur, à cause de toi, Jonathan, mon frère..
puis de manière appuyée a souligné :
Tu faisais tout mon plaisir... : ton amour pour moi était admirable au dessus de l’amourdes femmes.>>

et au point final a daté

14 nissan 5753


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