mon ami,
te voilà en ton exil forcé dans les méandres de ma mémoire. C'est là que je te retrouve quand je vais cheminant et que mon esprit alerte à juxtaposer passé/présent te convoque dans ces empreintes rémanentes qui imposent ta présence. Je crois en notre singularité, en notre unicité et cet état est déjà la marque de notre étrange liberté faite de contraintes, de devoirs.
Je ris souvent intérieurement par l'étrangeté de ce qui me fonde, de ces valeurs surgies de ces incertains printemps de l'après 68.
Ma mémoire reste imprécise, j'étais déjà un garçon chaotique en déshérence de sa "famille". Mon corps avait goutté un garçon de son âge, troublé par sa beauté et puis avait glissé dans les bras d'une jeune amazone en rêve d'autres étalons. J'avançais, ingénu à tâtons.
De la vie, ignorant.
Ma myopie me portait vers les livres. C'est probablement ce que tu remarquas, quand tu me croisais, ce bréviaire à la main, intitulé "manifeste du Parti Communiste". J'esquivais une grimace narquoise, visionnant l'enfant de choeur qui officiait à l'église St Charles, jusqu'au jour où entre mes mains je vis la date de1847 complétant le titre.
Le reste fut l'oeuvre de ma curiosité et de ces premières rencontres où tu t'amusais à jouer le bibliothécaire itinérant pour l'alimenter. Notre marxisme réclamait la vie. Une parole vive, chlorhydrique sur le gris entartré de cette époque.
Nous étions abreuvés d'histoires de ce vingtième siècle.
Il était dit que nous ne nous en laisserions pas conter. Nous savions tout des trahisons des mencheviks russes, des sociaux démocrates allemands crucifiant les spartakistes Liebknecht-Luxembourg, nous savions tout de l'histoire du mouvement ouvrier de ce pays, nous connaissions le sens du mot stalinisme et le ridicule de la SFIO, jamais ils ne nous vint à l'idée de réciter un texte d'Aragon ou de voter Mitterand.
Nos connaissances nous rendaient assurés et le contrepoids de toutes nos fragilités laissait le fléau de la balance dans le beau fixe. Nous savions que nous étions faillibles, nous savions la disproportion entre l'objectif d'une société sans classe, sans maître et l'état groupusculaire de cette fraction d'une jeunesse dont nous étions membres.
Nous étions de notre temps, nous ne tournions pas seulement les pages de vieux livres, d'anciennes philosophies. Nous étions là où il fallait être quand les B52 américains balançaient 250000 tonnes de bombes sur le pont Paul Doumer, Long Bien de HanoÏ.
Robert S Mac Namara, secrétaire de la défense à cette époque disait "Ce n'est pas un très joli spectacle que de voir la première des superpuissances mondiales tuer ou blesser chaque semaine des milliers de non combattants en s'efforçant de contraindre une petite nation arriérée à accepter une solution dont les mérites restent fortement contestés" (lire du Mensonge à la violence d'Hannah Arendt).
Ceux ne sont pas tant les livres qui nous donnèrent vie, ce potentiel vital à s'opposer, à ne pas accepter ce que le qualunquisme voulait imposer dans cette France bonapartiste. C'est bien la musique.
Nous nâquirent aux vibrations qui portaient les dits de la vie, du plaisir, de l'humain. La musique nous identifia. Nous n'avons jamais été d'un pays. Nous étions de cette vibration, née de la musique noire dans ce retour à l'origine puisque l'Afrique marque l'origine des peuples de cette planète.
Je n'étais sensible qu'à Dylan, tu me menas vers d'autres rives. C'est probablement cette dérive et nos échanges si fluides qui te rendirent nécessaire à mon être.
Incontournable.
Je pense souvent à ces temps fondateurs et nos trajectoires inattendues. Qui aurait imaginé que je m'établisse en usine et cette drôle d'idée de l'imminence des changements. Qui aurait imaginé cette concomitance des revers des luttes de ce temps et d'un deuil prévisible. Et pourtant tout était prévisible. Je t'écris, il ne me reste que ce possible, un flux de mots qui te cherche, non préoccupé de véracité, cherchant dans la pulsation une raison d'être, une résonnance. Nous écoutions "turning point" de john Mayall avant de passer à l'action.
So hard to share : nevermind!
3 commentaires:
Éphémère
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