J’avais à portée du regard un très beau livre de Joseph Boyden, une écriture terrifiante qui matérialise son message dans les tréfonds de votre être et des impératifs administratifs à résoudre, un plan des travaux à faire pour les mois à venir et une réflexion à poursuivre sur ce qu’ »aimer signifie ».
Je m’étais mis en tête de commencer par la réflexion, même sachant que je ne la mènerai pas à terme.
J’étais à 62 balais, un vieil homme « fleur bleue ».
Je n’avais pas attendu les « Rita Mitsouko » pour savoir que les « histoires d’amour finissent mal en général ».
Mon ignorance avait été d’avoir eu peur de la perte avant qu’elle advienne.
Je ne parle pas de la désagrégation d’une amourette.
Je parle de la mort de l’être aimée.
Cette peur élève la perte au carré tant elle m’avait rendu absent quand l’aimée avait le plus besoin de moi.
Je porte toujours à ce jour cette indignité. Chacun fait avec sa conscience de ses actes.
Je chante un ego désenchanté. Devant le miroir, mon image déçoit.
Et le sentiment d’avoir trahi devient constitutif de votre être.
J’ai depuis quarante années laissé les jours s’égrenaient avec cette perception indépassable. Un sentiment d’indignité inscrit à l’encre sympathique. J’étais le genre de mec cool. Je racontais facilement mes turpitudes, histoire de passer à autre chose.
Quand j’abordais le chapitre « tu sais, j’ai trahi, je trahirais » l’autre s’imaginait une vie dissolue de frasques en tous genres et soit fuyait soit restait se disant « avec moi tu vas t’amender ». Je restais timoré, ne sachant pas ce que devient Orphée quand Eurydice s’en est allée.
Dans ces « contes cruels de la jeunesse « pour reprendre le titre du très beau film d’Oshima, l’amour avait les élans de l’immédiateté « vogliamo tutto, subito », les portes de la perceptions grandes ouvertes. Plus que la jouissance, l’épiphanie des étreintes : cette étrange idée que l’horizon de soi s’atteint dans le regard de l’autre. J’eus tout : condensé en très peu de temps. Chaque jour inscrivait ce possible de l’amour ombré du sceau du couperet. Mes neurones imprégnés du tout offert et du tout ôté.
Tétanisés.
Aimer s’ignifie. Alors ne pas s’éteindre, oser brûler, choisir ses cendres. L’amour, acte religieux par essence, comme croyance ne peut être qu’un embrasement, non une transaction en quête d’équivalence, un marchandage. Il ne m’est jamais venu à l’esprit d’attendre une réciprocité des sentiments. Je voulais juste sentir l’élan de l’autre, cette irradiation d’un rayon de confiance, cette urgence de texture de peau tout ces drôles de gestes du quotidien qui embrasent et font les nuits sans sommeil. C’est dire mon côté fleur bleue. Je vois grandir deux jeunes êtres, puissent elles vivre ce que je n’ai pas vécu.
ITAE MISSA EST.
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