dimanche 3 août 2014

"questa sporca vita"





Me suis éveillé dans ce lieu matriciel, devenu un chantier livré à mon esprit chaotique. 
J'avais déclaré la guerre aux mauvaises herbes ( en étaient elles), j'avais abattu la barrière de cyprès, débités en toute jouissance. J'en étais doublement allergique. Au propre et au figuré tant il symbolisait queste domeniche al Campo Santo colla nonna. J'avais dans mes gènes "indéterminés " cette idée que la terre appartenait  à ceux qui la travaillent. Le sceau de la possession ne m'importait pas, le souci de ne plus voir cet espace en jachère me questionnait. Un lieu se dégrade si vite. 
Je regardais l'espace depuis le balcon, le soleil se levait, les oiseaux étaient déjà les maîtres du verger.
Je n'avais jamais eu dans le temps de mon enfance le souci de ce lieu, de son devenir. J'étais attaché à des êtres, ignorant alors que je fermerais les paupières de chacune et que j'hériterais de ce qui les liait, ce secret à préserver, ma généalogie, leur honte et leur blessure. Et ce lieu.
Qui n'est pas privé de son histoire aura du mal à imaginer combien un vide aspire le mental d'un être. Dans le mille feuilles de ma mémoire  se faufile l'image de cet endroit dans les années 50. 
Un lopin de terre organisé par le savoir ancestral de Madeleine et de Piètro, son mari décédé en 1949 (je laisse des précisions pour mes enfants au cas où). 
Un poulailler avec lapins et poules pour le plat de viande dominical. Le potager au voisinage, le verger en contre bas et cette petite femme levée à l'aube gérant la maisonnée, lessives au lavoir à la force des poignets et tous ces gestes du quotidien pour nourrir la maisonnée, suspendre un poulet par les pattes, le saigner derrière l'oreille, dépecer un lapin, laver le linge à mains nues au lavoir, s'occuper du mouflet (moi, en l'occurrence) à "torcher", à nourrir, à éduquer. "Seï un' Tosello, saï". Non je ne savais pas. Les dits de la nonna, ambigus et dans cette sonorité de la langue de ses origines troublent toujours mon épiderme. 
Je regarde depuis le balcon, son territoire. Je la vois, silhouette cep de vigne, monologuant les psaumes de son malheur, cadences aux travaux de sa journée. Maddalena qui répudiait le Christ mais pas le Duce et dont je garde au fond de moi dans cette ambiguïté du double lien, une tendresse pérenne. Les gens sont complexes par essence. Les cataloguer, vous les dénaturez.








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