Je lis avec patience et passion le dernier livre de Boris Cyrulnik.
«Sauve toi, la vie t’appelle». Il est des livres où lire et relire font partie des détours nécessaire pour imprimer ce dire en soi et rendre l’élégie mure pour toutes les insomnies.
Je lisais ; l’être que j’aimais me disait qu’il était temps pour elle de vivre sa propre vie. Todo bem. Mon moi pouvait s’écarteler dans cette jachère où la naissance l’avait jeté. Cyrulnik me rappelait les méandres de la mémoire, cette manière de nous lier au temps quand notre histoire nous offre ses abysses. Une écriture m’apparaissait belle et salutaire quand elle se coltinait avec son drame et dans cette tentative d’être son propre historien, son archéologue et le poète de cette lacération, étrange qu’offre certaines vies. J’ai souvent écrit sur les êtres que j’aimais. J’ai toujours cherché à m’abreuver de l’élixir décelé dans le sang chaud que leurs artères abreuvaient. Je cherchais ce qui de leurs vies m’étaient tant nécessaire. Mon prisme perceptif avait ce socle marmoréen fondé dans ces dimanches nel campo santo avec la nonna. L’architecture du cimetière fixe dans un mental d’enfant le périmètre particulier de son sacré. Il y a les visages comme des esquifs dans leur tempête, il y a ces déambulations hypnotiques de tombes en tombes à chercher ou à fuir à questionner l’impensé, à se tordre les mains dans l’incompréhension. Aurais je pu lui dire ce que j’aimais en elle, aurait-elle pu comprendre ce qui m’agenouillait. Probablement. Je ne disais pas tout. Je ne cherchais pas à ce qu’elle s’identifia à un portrait qui ne dessinait que mon trouble. Une attirance saisie dans une forme de retrait, de réserve. Il y a parfois un état intrinsèque entre réserve et affirmation. J’aimais cette dualité dont l’effet silex offrait à chaque jour ses étincelles. De l’attirance à l’amour la trajectoire n’avait besoin que d’un trait ou de mots pour l’union. Les mots nous mirent à nus. Je ne dirais pas une fulgurance. Je crus en une évidence. La mise à nu n’est pas l’amour mais un dévoilement sur son possible. Je crus que les mots nous souderaient. Je crus qu’il allaient puiser au plus profond de nos êtres dans le phréatique de l’abandon, cette eau boueuse qui va se filtrant dans les ecchymoses de l’âme.
Je ne l’aimais pas pour la panser. Je pensais l’aimer quand des mots s’échappèrent de sa bouche, de sa main comme un murmure qui ouvre un fracas.
Je croyais aux sésames. Je croyais en la vertu des mots pour en avoir été sevré. Elle l’ignorait. Elle ignorait jusqu’au sésame qui me délivrait. Elle me délivrait. J’appelais cela amour. Dans mon corps, le jeu des syllabes transcendait mon être d’un désir inédit. Je lui disais «je t’aime» comme d’autres chantent le cantique des cantiques. Elle prononçait les mots si naturellement que l’amour en moi devint cette évidence. Aimer déjà me transcendait. Aller vers l’orbite de cet autre qui scintille s’imposait comme mon mouvement premier. Etre aimé se révélait une autre galaxie.
A peine l’avais je atteint que j’en étais expulsé. Mink de Ville, en mon esprit chantait l’amour comme nul autre. Les riviéres de l’amour, les hâvres des Saints et autres zébrures.
Je poursuivais. A la page 236, il était écrit «L’empreinte du passé donne un gout au présent». J’ai allumé un petit cigare et me suis appuyé au bastingage du balcon. Elle n’écrivait plus ses sms débridés. De sa bouche maintenant, les mots de l’amour s’étaient évaporés. La pluie cinglait le bastingage, la nuit gainait la fin du jour, la fin de l’amour.
Boris lui avait prédit : «Sauve toi, la vie t’appelle»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire