Je vivais avec Maddalena et une de ses filles, Pierrette, ma tante. Jours tranquilles à Rocheville. Pierrette, "petite Pierre" était la fille de Piètro. Les mots bâtissent leur évidence. Quoique.
Elle est veuve. Je ne connais pas trop le sens du mot. Maddalena aussi est veuve. Ce que je sais est que nous allons saluer chaque dimanche au cimetière Piètro et Claude. Elles me disent qu'ils sont "partis"et je ne comprends pas que l'on aille dans un lieu saluer les absents. Mon esprit simple ne dénoue pas les paradoxes.
Il y a des photos de Piètro a casa, pas de Claude. Pierrette n'en parle pas. Maddalena se tait aussi. Bartholomeo, son frère m'a dit qu'il était mort au Maroc. Enfin, j'ai surpris une discussion qu'il avait avec notre voisin. Ils parlaient de "leur guerre", la grande, la première, il parlait de moutarde, un gaz et Tonton Dinu, c'était ainsi que Maddalena le prénommait, a dit à un moment "cela fait trois ans que Claude est mort à casa..."et m'ayant aperçu, s'est tu.
Casa ? Les syllabes me sont familières mais Dinu les a prononcées différemment. Ce n'est pas la maison. Je pose souvent des questions à tonton Dinu, c'est le seul qui réponde. Le soir, il vient me voir, il m'appelle "Signorino Perchè". Dinu m'a expliqué que Claude avait été tué à Casablanca et qu'il était gendarme. C'est notre secret. En parler, fait de la peine à Pierrette. J'ai gardé notre secret.
Je regarde la photo, l'homme au bras de Pierrette, doit être Claude. Je ne peux pas poser la question à Dinu, il vient de mourir. Je caresse la photo entre pouce et index comme je le faisais avec les bacchantes de Dinu. Je ne peux pas lui dire que je ressemble à Claude. Je ne peux pas partager mon secret
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