mon ami édouard, appelons-le, édouard, mais sait-il qu’il est mon ami,
cet homme alité et d’un grand âge, qui sait sa mémoire en lambeaux et raconte
annonnant des épisodes imprécis et poignants.
Ai passé ces derniers jours à lui faire la toilette, à écouter cette appréhension si singulière des êtres qui entendent leur mémoire s’éroder et courent après d’improbables épisodes. Dans ces moments l’hésitation qui le saisit affole ses membres supérieurs de tremblements incontrôlables, “et merde” conclut-il.
“Oui, merde, c’est bien le mot!” je réplique avant de faire rewind sur le souvenir qui s’échappe “vous êtes dans l’avion et le réservoir percé vous asperge d’essence”. “oui j’ai de l’essence plein le visage et le pilote me regarde, dites je serai bien opéré lundi”. Nous regardons souvent les patients à travers le prisme d’antécédents médicaux sans prendre la mesure de la personnalité qui nous fait face avec des a-priori sur ce que recouvrent ces antécédents médicaux de l’ordre des démences multiples ou de maladies qui confrontent l’individu à sa durée de vie.
Monsieur édouard est un inquiet, mais il a des raisons. Sa mémoire friable ne l’a pas glissé dans l’oubli de son âge, des mésaventures de sa fracture, de cette vie vraiment pas facile sous le regard de sa femme attentive et fragile. Le jour de son départ, énervé par l’attente d’une ambulance qui ne vient pas, plus très au courant de ce qu’il l' attend, il me demande tendant la main vers le tiroir de la table de chevet “donnez moi s’il vous plait le 7.65”.
Je sursaute, m’approche de lui, il répéte “le 7.65 dans le tiroir”, je lui prends la main, lui rappelle qu’il est dans la chambre de la clinique, qu’il s’est fracturé le fémur. Sa mémoire se reconnecte “oui mais ma femme est tombée, c’est ma faute, je suis une charge, vous savez!
Je repense au 7.65, me dis que sa mémoire slalome autour d’idées fixes. Que cet homme en vienne à penser au suicide dessine en mon esprit l’ombre de son désarroi. Comment y répondre quand les mots dits, s’effacent peu après. Nous devrions avoir un psy dans ce service : pour les patients, pour l’équipe, pour la qualité de notre travail. Je rêve!
Sur l’échelle “piano”, étalonnage des sonnettes actionnées par les patients, monsieur édouard était sobre disons 1 voire 2 selon le jour. Pas le cas de Madame Piano, appelons la ainsi. Etrange personne, elle aussi avec cette mémoire friable mais pas que!
Dimanche 2/01, Première sonnette vers 14 h * “pourrais je avoir le bassin”, = oui bonjour, vous êtes sondée mme piano.14 h17, * “j’ai mal” aux fesses”= oui, je vais vous passer du sanyréne, 14 h 40 “j’ai mal aux fesses “,= “oui, je vais vous installer sur le fauteuil, je vais mettre un matelas à eau “, 15 h, *je suis fatiguée, je voudrais me coucher”, =”vous devriez rester un peu plus au fauteuil mme piano, vous allez avoir mal aux fesses.”, 15 h 15 *je suis fatiguée”, =”je vais vous remettre au lit”, 15 h 30 * “j’ai chaud avec la couette”, =”je vous mets un drap à la place” 16 h 05*” je voudrais avoir un calmant pour la douleur”, =”je vais en parler à l’infirmiére”. L’infirmière “petit lutine se déplace, lui demande où elle a mal, pourquoi ne l’a t elle pas signalé au chirurgien, le matin, lui replace l’attele-mousse sous la jambe opérée, lui propose de la glace, mme piano n’a que le mot calmant en tête, ayant déjà gommé qu’elle a pris le traitement deux heures auparavant. “le petit lutin” lui rappelle qu’elle ne peut pas improviser, que la glace va faire effet et sort. 16h 16, sonnette toujours à la 356 =”oui de quoi s’agit-il dis je en invalidant la diode rouge. *”ah mais je n’ai pas appelé” précise mme piano. Je regarde la voisine, son aînée, qui observe mes allées et venues en souriant et je ne cherche même pas à la questionner. Je sors de la chambre imperturbable et dès la porte fermée, je sens en moi un torrent de questionnement, sur la vie, la folie, ces tribulations un 2 janvier dans ma cinquante neuvième année, sur l’impuissance, la mienne à résoudre ce jeu, faut-il ne pas répondre, quel ton employer, faut-il raisonner devant l’irrationnel? Je m’empresse de voir les IDE pour apaiser mon trauma mais nous sommes sans voie et il n’y a même plus un carreau de chocolat.
Deux IDE, un AS l’après midi pour courrir après ces êtres en demandent. Qu’importe la demande, quand la sonnette sonne vous devez répondre, las cet après midi, il faut préparer des personnes en urgence pour être opérées, les descendre au bloc puis les récupérer, s’occuper des autres, certains d’un grand âge, hémiplégiques. Penser qu’aider pour un repas une personne ne pouvant utilisant un bras paralysé, l’autre fracturé, c’est se concentrer pendant trente minutes, à son rythme et pendant ce temps mme piano, pianote toujours sur la sonnette, quand je répond avec retard à une autre patiente , elle est en pleurs par ce qu’elle n’en peut plus d’attendre le bassin et vous restez devant elle muet tant lui dépeindre un après midi en sous effectif ne fait pas sens pour elle.
Suis parti vers 21 h 10; la 356 sonnait, suis entré, *”je voudrai la télécommande de la tv”, suis resté zen disant “tendez le bras”. Suis ressorti
Sur l’échelle de PIANO, le 10 était atteint! Me suis changé, Suis rentré à pieds, j’avais eu la bonne idée de faire un peu d’exercice, la brise était glaciale, portishead susurrait à mon oreille “glory box” : elle est pas belle la vie!
cet homme alité et d’un grand âge, qui sait sa mémoire en lambeaux et raconte
annonnant des épisodes imprécis et poignants.
Ai passé ces derniers jours à lui faire la toilette, à écouter cette appréhension si singulière des êtres qui entendent leur mémoire s’éroder et courent après d’improbables épisodes. Dans ces moments l’hésitation qui le saisit affole ses membres supérieurs de tremblements incontrôlables, “et merde” conclut-il.
“Oui, merde, c’est bien le mot!” je réplique avant de faire rewind sur le souvenir qui s’échappe “vous êtes dans l’avion et le réservoir percé vous asperge d’essence”. “oui j’ai de l’essence plein le visage et le pilote me regarde, dites je serai bien opéré lundi”. Nous regardons souvent les patients à travers le prisme d’antécédents médicaux sans prendre la mesure de la personnalité qui nous fait face avec des a-priori sur ce que recouvrent ces antécédents médicaux de l’ordre des démences multiples ou de maladies qui confrontent l’individu à sa durée de vie.
Monsieur édouard est un inquiet, mais il a des raisons. Sa mémoire friable ne l’a pas glissé dans l’oubli de son âge, des mésaventures de sa fracture, de cette vie vraiment pas facile sous le regard de sa femme attentive et fragile. Le jour de son départ, énervé par l’attente d’une ambulance qui ne vient pas, plus très au courant de ce qu’il l' attend, il me demande tendant la main vers le tiroir de la table de chevet “donnez moi s’il vous plait le 7.65”.
Je sursaute, m’approche de lui, il répéte “le 7.65 dans le tiroir”, je lui prends la main, lui rappelle qu’il est dans la chambre de la clinique, qu’il s’est fracturé le fémur. Sa mémoire se reconnecte “oui mais ma femme est tombée, c’est ma faute, je suis une charge, vous savez!
Je repense au 7.65, me dis que sa mémoire slalome autour d’idées fixes. Que cet homme en vienne à penser au suicide dessine en mon esprit l’ombre de son désarroi. Comment y répondre quand les mots dits, s’effacent peu après. Nous devrions avoir un psy dans ce service : pour les patients, pour l’équipe, pour la qualité de notre travail. Je rêve!
Sur l’échelle “piano”, étalonnage des sonnettes actionnées par les patients, monsieur édouard était sobre disons 1 voire 2 selon le jour. Pas le cas de Madame Piano, appelons la ainsi. Etrange personne, elle aussi avec cette mémoire friable mais pas que!
Dimanche 2/01, Première sonnette vers 14 h * “pourrais je avoir le bassin”, = oui bonjour, vous êtes sondée mme piano.14 h17, * “j’ai mal” aux fesses”= oui, je vais vous passer du sanyréne, 14 h 40 “j’ai mal aux fesses “,= “oui, je vais vous installer sur le fauteuil, je vais mettre un matelas à eau “, 15 h, *je suis fatiguée, je voudrais me coucher”, =”vous devriez rester un peu plus au fauteuil mme piano, vous allez avoir mal aux fesses.”, 15 h 15 *je suis fatiguée”, =”je vais vous remettre au lit”, 15 h 30 * “j’ai chaud avec la couette”, =”je vous mets un drap à la place” 16 h 05*” je voudrais avoir un calmant pour la douleur”, =”je vais en parler à l’infirmiére”. L’infirmière “petit lutine se déplace, lui demande où elle a mal, pourquoi ne l’a t elle pas signalé au chirurgien, le matin, lui replace l’attele-mousse sous la jambe opérée, lui propose de la glace, mme piano n’a que le mot calmant en tête, ayant déjà gommé qu’elle a pris le traitement deux heures auparavant. “le petit lutin” lui rappelle qu’elle ne peut pas improviser, que la glace va faire effet et sort. 16h 16, sonnette toujours à la 356 =”oui de quoi s’agit-il dis je en invalidant la diode rouge. *”ah mais je n’ai pas appelé” précise mme piano. Je regarde la voisine, son aînée, qui observe mes allées et venues en souriant et je ne cherche même pas à la questionner. Je sors de la chambre imperturbable et dès la porte fermée, je sens en moi un torrent de questionnement, sur la vie, la folie, ces tribulations un 2 janvier dans ma cinquante neuvième année, sur l’impuissance, la mienne à résoudre ce jeu, faut-il ne pas répondre, quel ton employer, faut-il raisonner devant l’irrationnel? Je m’empresse de voir les IDE pour apaiser mon trauma mais nous sommes sans voie et il n’y a même plus un carreau de chocolat.
Deux IDE, un AS l’après midi pour courrir après ces êtres en demandent. Qu’importe la demande, quand la sonnette sonne vous devez répondre, las cet après midi, il faut préparer des personnes en urgence pour être opérées, les descendre au bloc puis les récupérer, s’occuper des autres, certains d’un grand âge, hémiplégiques. Penser qu’aider pour un repas une personne ne pouvant utilisant un bras paralysé, l’autre fracturé, c’est se concentrer pendant trente minutes, à son rythme et pendant ce temps mme piano, pianote toujours sur la sonnette, quand je répond avec retard à une autre patiente , elle est en pleurs par ce qu’elle n’en peut plus d’attendre le bassin et vous restez devant elle muet tant lui dépeindre un après midi en sous effectif ne fait pas sens pour elle.
Suis parti vers 21 h 10; la 356 sonnait, suis entré, *”je voudrai la télécommande de la tv”, suis resté zen disant “tendez le bras”. Suis ressorti
Sur l’échelle de PIANO, le 10 était atteint! Me suis changé, Suis rentré à pieds, j’avais eu la bonne idée de faire un peu d’exercice, la brise était glaciale, portishead susurrait à mon oreille “glory box” : elle est pas belle la vie!
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